Armand arrivait à la
sortie 1.3 de la bretelle d’autoroute. Il mit son clignotant et
entra dans la zone industrielle de la ville. Il se demandait encore
où il devait aller quand le téléphone sonna comme si on savait
qu’il attendait une réponse. Le gars au bout du fil – celui qui
commençait sérieusement à lui taper sur le système – lui
indiqua le chemin à suivre. Cette fois, il restait au téléphone
pour lui dire au fur et à mesure ce qu’il devait faire. Armand
arpentait des chemins mal entretenus, pleins de boue et de cailloux
qui lui auraient réellement valu une crevaison.
Et deux éclatements en l’espace
de dix minutes, il ne pensait pas que ça serait plausible. Il espéra
donc que son imagination était plus que florissante. Il eut alors
une idée. Une idée dangereuse mais qui valait peut-être le coup
d’être tentée. Il avait des caisses pleines d’armes et
d’explosifs. Il lui suffisait de prendre un revolver au moins. Les
terroristes n’en sauraient rien avant qu’il ne les braque et déjà
là, il les tiendrait en respect. Il pourrait alors négocier la vie
d’Amy et la sienne en même temps.
Le chemin qu’on lui demandait
de suivre tournait brusquement sur la gauche et de chaque côté se
dressaient d’immenses hangars. Il lui fallait tout au plus une
dizaine de secondes pour sortir et aller récupérer une arme à
l’arrière. De plus, les terroristes avaient raccroché après lui
avoir dit que c’était toujours tout droit. S’il avait voulu
jouer au malin comme il en avait l’habitude, il serait rentré
droit dans la tôle du hangar en face de lui, histoire de
montrer à quel point il pouvait être idiot. Mais il s’abstint. Il
s’arrêta, descendit du fourgon et alla ouvrir une des caisses
contenant des revolvers automatiques à l’arrière. Il en prit un,
le cacha sous sa chemise comme il l’avait vu faire dans les films
et se remit au volant pour continuer son chemin.
Il arriva bientôt à une sorte
de hangar à ciel ouvert. Disons qu’il y avait un toit mais plus de
murs autour. C’était un bâtiment abandonné. Armand s’arrêta
au milieu du chemin et jeta un œil autour de lui. Il ne vit rien,
pas le moindre signe ni d’Amy ni des terroristes. Il avança de
nouveau jusqu’à entrer dans le hangar. Au milieu de celui-ci, il
immobilisa le fourgon, stoppa le moteur et descendit.
Quelqu’un lança un
sifflement. Armand se tourna vers celui qui le sifflait. D’ordinaire,
il se serait insurgé devant cette attitude, il n’était pas un
chien. Mais aujourd’hui, c’était différent, il ne pensait qu’à
s’en sortir, avec Amy, pourtant il savait qu’il avait peu de
chances de s’en tirer.
Les terroristes étaient jeunes.
Vingt-cinq à trente ans mais certainement pas plus. Ils avaient le
crâne rasé de près.
– Votre fourgon, dit
Armand en désignant le véhicule.
Un des terroristes s’avança
vers le fourgon pour ouvrir les portes. Pris de panique, Armand
sortit son arme. Il voulait juste menacer son adversaire mais ses
neurones, déconnectés, confondirent les instructions et il fit feu.
Le coup fit un drôle de bruit à
l’arrivée. Le terroriste regarda Armand, un rictus de douleur mêlé
à de la surprise sur le visage. Il porta ses mains à son entrejambe
et s’agenouilla avant de s’effondrer sur le sol, seul un son
étranglé sortit de sa bouche. Armand ne comprenait pas et regardait
son revolver, perplexe.
C’est quoi, cette tâche rose
fluo sur son futal ? se demanda Armand.
Le second terroriste leva les
mains et se rapprocha de son collègue qui parvenait maintenant à
émettre quelques sons très aigus.
– C’est bon, ne tirez
pas ! C’est rien ! dit-il.
– C’est rien ? Réussi à
articuler son compagnon. C’est rien ? Une balle de paint ball dans
les noisettes, à bout portant, je peux t’assurer que c’est pas
si rien que ça, connard !
– Qu’est-ce que c’est que
ce délire ? demanda Armand.
– Nous sommes du 92ème.
Ce qui signifiait en somme que
les deux clampins devant Armand appartenaient au 92ème
régiment d’infanterie basé en ville.
Armand se tourna vers Amy qui se
tenait, là un peu plus loin, les bras croisés, l’air plutôt
fatiguée et en colère.
Armand ne comprenait pas plus.
– Mais pour quoi faire ?
demanda-t-il en montrant son arme.
– La fête annuelle du 92.
Cette année, on voulait faire une partie de paint ball.
– Mais on a cru que c’étaient
des vrais !
– C’est que vous ne savez
pas regarder alors !
– Ça ne colle pas tout ça,
insista Armand. Il y a un truc qui me tracasse. Pourquoi ce fourgon
se trouvait sur le parking du Fitness ? Pourquoi ne pas se faire
livrer tout ça à la caserne ?
– Et alors ? Pourquoi votre
fourgon se trouvait sur le parking du Fitness avec une femme endormie
à l’arrière ? Nous, on n’a rien fait de mal, on n’a pas
vérifié. Il était convenu que l’on récupère un fourgon blanc
avec notre matériel et puis c’est tout. La seule chose qui nous a
paru louche, c’est que le fourgon était resté ouvert avec les
clés sur le contact. On s’est barré sans vérifier, ce n’est
qu’après qu’on a vu qu’il y avait votre dame à l’arrière
et pas nos foutues caisses. Pour le reste, on ne voulait pas que nos
supérieurs soient au courant. C’est une partie de paint ball
clandestine !
Armand regarda Amy. De toute
évidence, elle n’était pas dans un bon jour.
– Quand j’ai vu le
portable sur le tableau de bord avec ton numéro comme seul numéro
enregistré, je me suis demandé ce que tu étais encore en train de
trafiquer ! dit Amy, en colère. T’es complètement malade de faire
subir cela à une femme dans mon état !
– Quoi ton état ? demanda
Armand.
– Mais t’es complètement
irresponsable ! Et dire que je vais avoir un gosse avec toi !
Armand ne répondit pas. Il
réfléchissait à ce qu’Amy venait de lui dire.
– T’es qu’un con ! Tu
ne te rends même pas compte que dans huit mois tu vas être
papa !
Papa ?
Il allait être papa !
Il souriait. Amy et ses
réprimandes n’existaient plus :
– Faire subir un choc
pareil à une femme enceinte ! Mais c’est complètement con !
J’aurais pu le perdre !
Armand regardait Amy, les larmes
aux yeux.
Le bruit d’un moteur en furie
se fit entendre et Clyde entra dans le hangar comme une trombe. Il
dérapa, immobilisa son véhicule et en bondit tel un lion enragé.
Armand leva une main pour lui faire signe que tout était bon. Clyde
s’arrêta et regarda Amy et Armand d’un côté et les deux
bidasses de l’autre.
– Attends Amy, je te
présente Clyde. Un ami, dit Armand.
Clyde fit un signe de la main,
gêné de son intrusion. Il recula lentement, en balançant les bras,
ne sachant que faire.
– Je... Je vais prévenir
Harry...
Armand acquiesça.
– Harry ? questionna Amy.
– Un autre copain.
– Ah ouais ! C’est ça tes
copains ? Tes copains de beuverie ? Ça ne m’étonne pas qu’ils
t’aient suivi dans ta connerie, répliqua-t-elle. Et c’est pour
ces idiots que tu restes à te prendre des cuites ?
– Ils étaient prêts à aller
jusqu’au bout pour que je te retrouve, se justifia-t-il.
Les deux bidasses regardaient
Clyde parler à une radio dans sa voiture. Ils ne comprenaient pas
comment leur pote, celui qui devait livrer le fourgon plein de
revolver à peinture, avait pu penser une seule seconde que ce gars
aurait pu être un soldat.
Après les remerciements et les
excuses, les bidasses reprirent leur fourgon. Clyde se chargea de
raccompagner Amy et Armand, il se sentait coupable de tout ce qui
s’était passé. Amy ne s’était pas calmée. Armand gardait le
sourire : dans huit mois, il allait avoir une pisseuse ou un pisseux.
Cependant, il réalisait qu’il
avait fait une grosse connerie et se demandait comment il pourrait
redresser la barre. Peut-être que ses potes pourraient lui venir en
aide ?
Et tout ça, à cause de
quelques verres de plus.
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