Entre deux bières et un silence
toujours aussi lourd de conséquences, Harry et Clyde tentaient de
savoir s’ils pouvaient faire quelque chose pour leur ami. Il avait
vraiment mauvaise mine ! Cela se comprenait après tout : ils avaient
paumé le fourgon dans lequel se trouvait sa femme. Ils auraient
sûrement réagi de la même manière. Clyde, avec peut-être plus de
virulence qu’Harry. D’ailleurs, Armand ne pensait pas à cela
pour le moment, il réfléchissait, mais ils ne savaient pas à quoi.
Ils ne se doutaient pas qu’Armand avait des soupçons. Quelque
chose ne collait pas dans tout ça. Tout ce qui se passait lui
paraissait étrange, incohérent.
Clyde s’éclaircit la gorge
pour la troisième fois au moins, histoire de relancer le débat.
– On attend le coup de fil
avant d’envisager quoi que se soit. Ça ne sert plus à rien de
programmer le moindre petit truc, vu où cela nous mène, dit alors
Armand.
Clyde se ravisa. Il avait
raison. Échafauder encore des plans à n’en plus finir sans savoir
ce que l’autre gigolo voulait ne servait à rien. Et puis, rien
n’indiquait qu’il était seul. Ils devaient être même au moins
deux, c’était le minimum pour transporter ce genre de matériel.
Harry se leva et commença à
entreprendre une inspection minutieuse du jardin tondu comme un green
de golf d’Armand. Il repéra quelques touffes d’herbes qui
dépassaient par ci par là mais rien d’alarmant. Rien qui puisse
être aussi important et primordial que la récupération d’Amy, en
bonne santé, cela va sans dire. Il localisa pourtant quelque chose
qui pouvait mettre Armand hors de lui. Il se retourna et, au dernier
moment, décida de ne rien dire : la situation ne le permettait
pas. Il avait vu une belle merde de chien au milieu de la pelouse de
son pote et il savait que si Armand la voyait, il se mettrait dans
une rage folle. Parce que les voisins laissaient faire leurs maudits
cabots et que, lui, devait se taper la récolte de déjections. Cela
signifiait : « Prendre les responsabilités des autres ! »
et plus que tout, il détestait prendre les responsabilités des
autres. Mais il ne pouvait pas aller taper sur la gueule du voisin
pour qu’il vienne avec son petit sac et son petit gant de
caoutchouc pour ramasser la grosse petite merde que le gros petit
bébé de chien avait laissé traîner là. S’il faisait cela, il
serait en guerre tous les jours. Et puis, entre une merde au milieu
du jardin soigneusement entretenu et Amy, Harry pensait qu’Amy
importait plus. Il vint donc se rasseoir et commença à dandiner sa
jambe gauche, signe d’impatience chez lui.
Un silence de mort s’installa
de nouveau. L’horloge de la cuisine, celle qu’on n’entendait
jamais même si elle était toute proche venait les narguer. Un ou
deux chiens, peut-être l’un des responsables du tas de merde du
jardin, aboyaient. Une meute entière se fit alors entendre et le cri
d’un chat en colère ou apeuré, voire les deux, vint conclure ce
petit échange amical animal. Puis plus rien. Juste l’horloge de la
cuisine qui égrenait le temps. Harry pensa que cette horloge faisait
le même bruit lorsque la maison était vide et il se remémora cette
fameuse interrogation philosophique : « Si un arbre tombe dans
une forêt et qu’il n’y a personne pour l’entendre, cet arbre
fait-il du bruit dans sa chute ? »
Méditons un moment là-dessus,
se dit Harry.
Ce fut alors que le portable,
sur la table de verre du salon, se mit à sonner et vibrer en même
temps, faisant un raffut de tous les diables. Armand se jeta dessus
tandis qu’Harry et Clyde se redressaient, attentifs et intéressés.
Armand décrocha. Ni Harry ni
Clyde n’entendaient ce que la personne à l’autre bout disait.
Ils tendaient l’oreille mais rien n’y faisait. Impossible de
savoir ce qu’elle disait. Ils ne pouvaient s’en remettre qu’aux
hochements de tête affirmatifs d’Armand et aux quelques mots qu’il
disait comme « D’accord », « Très bien »
ou encore « Compris ». Après cela, il raccrocha et
reposa le portable sur la table basse.
– Alors ? se risqua Harry.
– Ils ont notre fourgon.
– On le savait déjà ça,
rétorqua Clyde.
Armand réfléchit un instant.
Ce qu’ils désiraient n’était pas compliqué.
– Le fourgon contre Amy, c’est
simple comme deal, finit-il par dire.
– Oui, ça on s’en doutait
aussi ! s’exclama Clyde. Mais dans quelles conditions ?
– Les leurs, pardi ! Ils
veulent que je prenne le fourgon et que je suive leurs instructions.
Ils ont dit qu’ils allaient me faire faire un petit tour en
ville... Dans environ une demie heure.
– Ils sont plusieurs alors ?
demanda Harry
– Au moins deux et déterminés.
Harry se leva et commença à
faire les cent pas dans le salon, avec l’air de réfléchir.
– Ils veulent que tu sois seul
j’imagine, dit-il après deux allers-retours.
– Oui, dit Armand avec un
soupçon d’hésitation.
– Logique. Le tour en ville,
c’est pour s’assurer que tu n’es pas suivi. Bien, voilà ce que
je te propose.
Clyde se mit à rire. Harry et
Armand le regardèrent, surpris.
– Quoi ? Pourquoi tu ris
comme ça ? demanda Harry, visiblement fâché par la réaction de
Clyde.
– Ben, le premier plan, c’est
toi aussi qui l’avais proposé et regarde comment ça a tourné.
Armand regarda Harry. Ce dernier
put lire dans ses yeux que Clyde n’avait pas tout à fait tort. Il
avait élaboré un soit disant plan en béton et trouvé le moyen de
se faire faucher son fourgon, avec le bien le plus précieux au monde
aux yeux de son pote.
– Écoute, cette fois, c’est
sérieux, reprit-t-il. On avait imaginé un truc sans risque pour que
tout s’arrange pour le mieux et on se retrouve avec la réalité
qui dépasse la fiction ! Alors laisse-moi proposer ce que j’ai à
proposer. Ensuite, on verra.
Armand jeta un œil à Clyde,
comme si c’était lui qui devait avoir le dernier mot, comme si la
vie d’Amy dépendait de ce qu’il pouvait penser. Clyde haussa les
épaules. Le parrain avait parlé, Harry pouvait continuer à exposer
son plan et si celui-ci n’était pas fiable, peut-être
terminerait-il avec quelques doigts en moins, voir pire, coulé dans
un pilier de béton armé. Armand eut un léger sourire, que personne
ne vit, à l’idée de voir Clyde ordonner de couler le pilier dans
lequel hurlait Harry.
– Alors voilà ! On va
mettre un émetteur dans le fourgon, de façon à le suivre à la
trace. Et Clyde, à bonne distance te suivra, histoire de couvrir tes
arrières. Comme ça, il ne mettra pas longtemps à te rejoindre, si
ça devait dégénérer.
Clyde se remit à rire. Il en
pleurait même. Comme le regard d’Harry lui demandait des
explications, il leva les mains pour qu’il attende un peu, le temps
de reprendre son souffle.
– Ok. Maintenant, tu veux
jouer les James Bond. Et comment tu comptes t’y prendre pour suivre
le fourgon à la trace ? demanda Clyde entre deux bouffées de rires.
– Nous travaillons
actuellement sur un système permettant de pister les cartes
bancaires à la trace sans qu’elles soient pour autant utilisées,
expliqua-t-il, jetant un regard noir et déterminé à Clyde. Pour
cela, nous utiliserons le même procédé que le pistage des
véhicules de police ou d’interventions d’urgence comme les
ambulances ou les pompiers. Seulement, c’est le dispositif qui nous
pose problème, beaucoup trop gros pour convenir à une carte
bancaire. Bref ! Le pistage des véhicules de police a été mis au
point par ma société et on en contrôle encore tout le système. Je
peux donc m’installer dans mon bureau et utiliser un dispositif
pour pister Armand et son fourgon. Deux radios et le tour est joué,
je peux te communiquer en direct la direction qu’il prend sans que
les autres ne se rendent compte de quoi que se soit.
Clyde ne dit rien. Armand
regardait Harry, impressionné.
Harry se tourna vers lui pour
avoir son approbation.
– Tu ne risques rien à
ton boulot ? demanda Armand.
– Je suis un peu responsable
de la situation. Je dois bien me rattraper.
– Ok papillon, dit Clyde en se
levant. C’est bien joli tout ça mais si je piste Armand c’est
pour éviter que la situation ne dégénère. Et qu’est-ce que je
fais moi si la situation part en cacahuète ?
– Tu fonces. Tu improvises, tu
interviens, répondit Harry.
– Tu sais pertinemment qu’ils
ne les laisseront pas en vie une fois qu’ils auront récupéré
leur fourgon de feux d’artifice !
Armand baissa la tête. C’était
vrai. Ils ne leur laisseront sûrement pas la vie sauve. Ils devaient
penser à un plan de fuite. Clyde était en couverture mais
pourrait-il intervenir assez rapidement en cas de besoin et surtout
avant que les autres aient décidé de réunir Amy et Armand d’une
balle dans la tête.
– Tu ne seras pas loin à
ce moment là. Tu observes et dès que tu vois qu’ils s’apprêtent
à sortir des flingues, tu fonces sur eux avec la bagnole, expliqua
Harry. Je suis désolé mais nous n’avons que ça.
– Et les pétards dans le
fourgon ? tenta Clyde.
– Non ! S’ils s’aperçoivent
qu’il en manque un, c’en est fini d’Amy et d’Armand.
Harry prit sa veste et regarda
sa montre.
– J’ai vingt-cinq minutes
pour retourner au bureau et lancer le programme. Armand, tu prends le
fourgon et tu vas te garer sur le parking visiteur. Dans dix minutes,
je place le dispositif et tu reviens en quatrième vitesse ici. Ils
vont s’attendre à ce que tu partes d’ici et pas d’ailleurs !
Compris ?
Armand acquiesça. Harry se
tourna vers Clyde.
– Clyde, Armand te filera
une radio pour que l’on soit en contact permanent, toi et moi. Tu
te précipites dans ta voiture et tu le suis, d’un bon kilomètre
de distance au moins. Tu ne pars pas tant que je ne te dis rien.
Clyde acquiesça à son tour.
Et ce fut comme ça qu’une
demie heure plus tard, le fourgon d’Armand se retrouvait branché
comme une bagnole de flic, avec un système dont il ignorait tout du
fonctionnement et qui pourtant était le seul moyen de sauver Amy.
Parce que si le dispositif merdait, Harry ne pourrait plus le pister.
Si Harry ne pouvait plus le pister, Clyde ne pourrait plus le suivre.
Si Clyde ne pouvait plus le suivre et si les terroristes avaient
l’intention de ne pas les laisser en vie, ce qui était sûrement
au programme, Amy et lui n’auraient plus aucune chance.
Et tout ça, à cause de
quelques verres de plus.
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