mardi 15 novembre 2016

VII – Attente plus ou moins supportable

Entre deux bières et un silence toujours aussi lourd de conséquences, Harry et Clyde tentaient de savoir s’ils pouvaient faire quelque chose pour leur ami. Il avait vraiment mauvaise mine ! Cela se comprenait après tout : ils avaient paumé le fourgon dans lequel se trouvait sa femme. Ils auraient sûrement réagi de la même manière. Clyde, avec peut-être plus de virulence qu’Harry. D’ailleurs, Armand ne pensait pas à cela pour le moment, il réfléchissait, mais ils ne savaient pas à quoi. Ils ne se doutaient pas qu’Armand avait des soupçons. Quelque chose ne collait pas dans tout ça. Tout ce qui se passait lui paraissait étrange, incohérent.
Clyde s’éclaircit la gorge pour la troisième fois au moins, histoire de relancer le débat.
On attend le coup de fil avant d’envisager quoi que se soit. Ça ne sert plus à rien de programmer le moindre petit truc, vu où cela nous mène, dit alors Armand.
Clyde se ravisa. Il avait raison. Échafauder encore des plans à n’en plus finir sans savoir ce que l’autre gigolo voulait ne servait à rien. Et puis, rien n’indiquait qu’il était seul. Ils devaient être même au moins deux, c’était le minimum pour transporter ce genre de matériel.
Harry se leva et commença à entreprendre une inspection minutieuse du jardin tondu comme un green de golf d’Armand. Il repéra quelques touffes d’herbes qui dépassaient par ci par là mais rien d’alarmant. Rien qui puisse être aussi important et primordial que la récupération d’Amy, en bonne santé, cela va sans dire. Il localisa pourtant quelque chose qui pouvait mettre Armand hors de lui. Il se retourna et, au dernier moment, décida de ne rien dire : la situation ne le permettait pas. Il avait vu une belle merde de chien au milieu de la pelouse de son pote et il savait que si Armand la voyait, il se mettrait dans une rage folle. Parce que les voisins laissaient faire leurs maudits cabots et que, lui, devait se taper la récolte de déjections. Cela signifiait : « Prendre les responsabilités des autres ! » et plus que tout, il détestait prendre les responsabilités des autres. Mais il ne pouvait pas aller taper sur la gueule du voisin pour qu’il vienne avec son petit sac et son petit gant de caoutchouc pour ramasser la grosse petite merde que le gros petit bébé de chien avait laissé traîner là. S’il faisait cela, il serait en guerre tous les jours. Et puis, entre une merde au milieu du jardin soigneusement entretenu et Amy, Harry pensait qu’Amy importait plus. Il vint donc se rasseoir et commença à dandiner sa jambe gauche, signe d’impatience chez lui.
Un silence de mort s’installa de nouveau. L’horloge de la cuisine, celle qu’on n’entendait jamais même si elle était toute proche venait les narguer. Un ou deux chiens, peut-être l’un des responsables du tas de merde du jardin, aboyaient. Une meute entière se fit alors entendre et le cri d’un chat en colère ou apeuré, voire les deux, vint conclure ce petit échange amical animal. Puis plus rien. Juste l’horloge de la cuisine qui égrenait le temps. Harry pensa que cette horloge faisait le même bruit lorsque la maison était vide et il se remémora cette fameuse interrogation philosophique : « Si un arbre tombe dans une forêt et qu’il n’y a personne pour l’entendre, cet arbre fait-il du bruit dans sa chute ? »
Méditons un moment là-dessus, se dit Harry.
Ce fut alors que le portable, sur la table de verre du salon, se mit à sonner et vibrer en même temps, faisant un raffut de tous les diables. Armand se jeta dessus tandis qu’Harry et Clyde se redressaient, attentifs et intéressés.
Armand décrocha. Ni Harry ni Clyde n’entendaient ce que la personne à l’autre bout disait. Ils tendaient l’oreille mais rien n’y faisait. Impossible de savoir ce qu’elle disait. Ils ne pouvaient s’en remettre qu’aux hochements de tête affirmatifs d’Armand et aux quelques mots qu’il disait comme « D’accord », « Très bien » ou encore « Compris ». Après cela, il raccrocha et reposa le portable sur la table basse.
Alors ? se risqua Harry.
Ils ont notre fourgon.
On le savait déjà ça, rétorqua Clyde.
Armand réfléchit un instant. Ce qu’ils désiraient n’était pas compliqué.
Le fourgon contre Amy, c’est simple comme deal, finit-il par dire.
Oui, ça on s’en doutait aussi ! s’exclama Clyde. Mais dans quelles conditions ?
Les leurs, pardi ! Ils veulent que je prenne le fourgon et que je suive leurs instructions. Ils ont dit qu’ils allaient me faire faire un petit tour en ville... Dans environ une demie heure.
Ils sont plusieurs alors ? demanda Harry
Au moins deux et déterminés.
Harry se leva et commença à faire les cent pas dans le salon, avec l’air de réfléchir.
Ils veulent que tu sois seul j’imagine, dit-il après deux allers-retours.
Oui, dit Armand avec un soupçon d’hésitation.
Logique. Le tour en ville, c’est pour s’assurer que tu n’es pas suivi. Bien, voilà ce que je te propose.
Clyde se mit à rire. Harry et Armand le regardèrent, surpris.
– Quoi ? Pourquoi tu ris comme ça ? demanda Harry, visiblement fâché par la réaction de Clyde.
Ben, le premier plan, c’est toi aussi qui l’avais proposé et regarde comment ça a tourné.
Armand regarda Harry. Ce dernier put lire dans ses yeux que Clyde n’avait pas tout à fait tort. Il avait élaboré un soit disant plan en béton et trouvé le moyen de se faire faucher son fourgon, avec le bien le plus précieux au monde aux yeux de son pote.
Écoute, cette fois, c’est sérieux, reprit-t-il. On avait imaginé un truc sans risque pour que tout s’arrange pour le mieux et on se retrouve avec la réalité qui dépasse la fiction ! Alors laisse-moi proposer ce que j’ai à proposer. Ensuite, on verra.
Armand jeta un œil à Clyde, comme si c’était lui qui devait avoir le dernier mot, comme si la vie d’Amy dépendait de ce qu’il pouvait penser. Clyde haussa les épaules. Le parrain avait parlé, Harry pouvait continuer à exposer son plan et si celui-ci n’était pas fiable, peut-être terminerait-il avec quelques doigts en moins, voir pire, coulé dans un pilier de béton armé. Armand eut un léger sourire, que personne ne vit, à l’idée de voir Clyde ordonner de couler le pilier dans lequel hurlait Harry.
– Alors voilà ! On va mettre un émetteur dans le fourgon, de façon à le suivre à la trace. Et Clyde, à bonne distance te suivra, histoire de couvrir tes arrières. Comme ça, il ne mettra pas longtemps à te rejoindre, si ça devait dégénérer.
Clyde se remit à rire. Il en pleurait même. Comme le regard d’Harry lui demandait des explications, il leva les mains pour qu’il attende un peu, le temps de reprendre son souffle.
– Ok. Maintenant, tu veux jouer les James Bond. Et comment tu comptes t’y prendre pour suivre le fourgon à la trace ? demanda Clyde entre deux bouffées de rires.
Nous travaillons actuellement sur un système permettant de pister les cartes bancaires à la trace sans qu’elles soient pour autant utilisées, expliqua-t-il, jetant un regard noir et déterminé à Clyde. Pour cela, nous utiliserons le même procédé que le pistage des véhicules de police ou d’interventions d’urgence comme les ambulances ou les pompiers. Seulement, c’est le dispositif qui nous pose problème, beaucoup trop gros pour convenir à une carte bancaire. Bref ! Le pistage des véhicules de police a été mis au point par ma société et on en contrôle encore tout le système. Je peux donc m’installer dans mon bureau et utiliser un dispositif pour pister Armand et son fourgon. Deux radios et le tour est joué, je peux te communiquer en direct la direction qu’il prend sans que les autres ne se rendent compte de quoi que se soit.
Clyde ne dit rien. Armand regardait Harry, impressionné.
Harry se tourna vers lui pour avoir son approbation.
– Tu ne risques rien à ton boulot ? demanda Armand.
Je suis un peu responsable de la situation. Je dois bien me rattraper.
Ok papillon, dit Clyde en se levant. C’est bien joli tout ça mais si je piste Armand c’est pour éviter que la situation ne dégénère. Et qu’est-ce que je fais moi si la situation part en cacahuète ?
Tu fonces. Tu improvises, tu interviens, répondit Harry.
Tu sais pertinemment qu’ils ne les laisseront pas en vie une fois qu’ils auront récupéré leur fourgon de feux d’artifice !
Armand baissa la tête. C’était vrai. Ils ne leur laisseront sûrement pas la vie sauve. Ils devaient penser à un plan de fuite. Clyde était en couverture mais pourrait-il intervenir assez rapidement en cas de besoin et surtout avant que les autres aient décidé de réunir Amy et Armand d’une balle dans la tête.
– Tu ne seras pas loin à ce moment là. Tu observes et dès que tu vois qu’ils s’apprêtent à sortir des flingues, tu fonces sur eux avec la bagnole, expliqua Harry. Je suis désolé mais nous n’avons que ça.
Et les pétards dans le fourgon ? tenta Clyde.
Non ! S’ils s’aperçoivent qu’il en manque un, c’en est fini d’Amy et d’Armand.
Harry prit sa veste et regarda sa montre.
J’ai vingt-cinq minutes pour retourner au bureau et lancer le programme. Armand, tu prends le fourgon et tu vas te garer sur le parking visiteur. Dans dix minutes, je place le dispositif et tu reviens en quatrième vitesse ici. Ils vont s’attendre à ce que tu partes d’ici et pas d’ailleurs ! Compris ?
Armand acquiesça. Harry se tourna vers Clyde.
– Clyde, Armand te filera une radio pour que l’on soit en contact permanent, toi et moi. Tu te précipites dans ta voiture et tu le suis, d’un bon kilomètre de distance au moins. Tu ne pars pas tant que je ne te dis rien.
Clyde acquiesça à son tour.
Et ce fut comme ça qu’une demie heure plus tard, le fourgon d’Armand se retrouvait branché comme une bagnole de flic, avec un système dont il ignorait tout du fonctionnement et qui pourtant était le seul moyen de sauver Amy. Parce que si le dispositif merdait, Harry ne pourrait plus le pister. Si Harry ne pouvait plus le pister, Clyde ne pourrait plus le suivre. Si Clyde ne pouvait plus le suivre et si les terroristes avaient l’intention de ne pas les laisser en vie, ce qui était sûrement au programme, Amy et lui n’auraient plus aucune chance.
Et tout ça, à cause de quelques verres de plus.

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