Thomas roulait à vive allure.
Il était sur une route de campagne déserte. Le soleil était
radieux et faisait briller les quelques amas de neige qui
persistaient sur les bas côtés et dans la vallée. À côté de
lui, il y avait sa copine, Katy, qui ne se souciait pas de la
vitesse ; elle en avait l’habitude et peut-être même qu’elle
aimait cela puisqu’elle ne lui avait jamais demandé de ralentir ni
de faire plus attention.
Le paysage qui défilait autour
d’eux était magnifique. C’était une chance d’avoir un aussi
beau temps pour ce week end du 14 février. Thomas avait eu peur de
devoir annuler la surprise pour Katy à cause du mauvais temps. Mais
c’était un jour merveilleux, on se serait cru au printemps, où
tout revenait à la vie. Cette anomalie était peut-être un signe.
Un bon signe pour Thomas, qui avait tout planifié. Depuis l’arrivée
à la cabane jusqu’à sa demande en mariage. Que demanderait de
mieux une fille aussi superbe que Katy ?
Tu vas rater la sortie,
lui dit une petite voix du tréfonds de son esprit encore embrumé
par le saut de joie qu’allait faire sa copine en voyant la bague.
Il freina un peu. « Pila »
était un mot plus approprié mais Thomas n'aimait pas dire qu'il
avait commis une erreur.
– Je ne me souviens
jamais où se trouve cette satanée route ! lâcha-t-il.
Mais Katy le regardait d'un air
qui voulait dire : c'est la première fois que tu viens ici,
comment se souvenir d'un endroit où l'on n'a jamais mis les pieds ?
C'était la première fois qu'il
venait, en effet. Il avait trouvé une « petite cabane tout
confort au fond des bois, parfaite pour un week end en amoureux »
sur une petite annonce d’un journal web local. L'occasion pour la
Saint Valentin d'oublier un peu le monde de brutes qui s'échauffait
au dehors et, pourquoi pas, faire sa demande à Katy.
Un nœud lui mit l'estomac à
l’envers quand il pensa à cela.
Ils arrivèrent à la cabane un
peu plus tard, après avoir emprunté un chemin légèrement boueux.
Thomas avait senti la voiture faire quelques embardées de l'arrière.
Il détestait cela et cramponnait son volant si fort que les
jointures de ses doigts en étaient blanches.
Il gara la voiture tout en
regardant la cabane. Il comprit tout de suite que ce chalet n'était
pas celui présenté sur le site Internet où il avait réservé pour
son week end. Il avait d'ailleurs trouvé étrange de tomber si
facilement sur un endroit vacant pour ce week end de Saint Valentin.
Il ne s'était pas posé plus de questions. Il aurait dû.
– C'est ça ? demanda
Katy en une grimace.
Thomas ouvrit la porte et se
força à sourire.
– Ben oui mais, ce n'est
que l'extérieur. Ça paraît toujours minable de l'extérieur mais
quand on entre...
Et ils entrèrent.
La porte s'emballa et claqua
contre le mur. Cela fit tomber de la poussière du plafond.
Thomas se mordit la lèvre
inférieure.
Quand Katy posa sa valise sur le
canapé recouvert d'un drap loin d'être net, un nuage verdâtre
s'éleva.
Thomas fronça les sourcils.
Quand il posa à son tour sa
valise sur la petite table au milieu du salon crasseux, elle
s'écroula, fatiguée par le temps.
Katy croisait les bras et
regardait Thomas qui implorait déjà son pardon.
– Week end de Saint
Valentin très romantique, dit-elle au bout de quelques secondes.
– Je me suis fait rouler,
admit Thomas avec difficulté. Mais l'important c'est que l'on soit
ensemble, non ?
Katy fit la moue et regarda
autour d'elle.
– C'est comme ça que tu
vois l’avenir ? demanda-t-elle. C'est comme ça que tu ME vois ? En
femme de chambre tout juste bonne à faire la poussière ?
– Calme-toi bi-biche, commença
Thomas en s'approchant d'elle et en écartant les bras.
Elle leva les siens pour faire
savoir qu'il valait mieux ne pas s'approcher.
Dans un haussement d'épaule,
Thomas lui dit qu'il allait faire un peu de ménage avant d'aménager
un coin pour dîner. Il pensa que sa demande pouvait attendre encore
un peu : Katy était passablement énervée, pas la peine de parler
mariage si c'était pour se ramasser un vent.
Le nuage qui s'élevait de la
petite cabane de bois tordue n'avait rien à voir avec un incendie.
Katy avait décidé de faire un
tour dans les environs. Thomas lui avait conseillé de ne pas
s’éloigner : dans les bois, on ne savait jamais sur quoi on
pouvait tomber.
Elle revint un peu plus tard,
quand Thomas avait nettoyé le plus gros de la maisonnette. Cette
dernière était plus présentable même si elle ne reflétait pas
« le petit coin de paradis » décrit sur l'annonce. Il
était parvenu à allumer un feu dans la cheminée qui menaçait elle
aussi de s'écrouler.
Sans un mot, ils se mirent à
table. Plutôt, ils pique-niquèrent puisque qu'il s'avérait que la
seule table disponible était celle qui avait rendu l'âme sous la
valise de Thomas.
– Je suis tombé sur un
cimetière pas loin, dit soudainement Katy en enfournant une part de
rosbif bien juteux et bien saignant.
Thomas eut du mal à faire
passer son morceau de patate surchargé de moutarde, comme il les
aimait.
– On pourrait parler
d'autre chose ?
– Pourquoi ça ? Je te dis
juste que je suis tombé sur un cimetière. Il a l'air abandonné. En
tout cas, la mauvaise herbe pousse de partout et les tombes sont
crasseuses. Si je n'avais pas eu faim, je serai entrée pour voir
s'il n'y en avait pas d'ouvertes !
Cette fois-ci, Thomas crut vomir
mais il se retint. Se faire avoir et louer une ruine au lieu d'un
palace en bois était déjà bien assez, il valait mieux ne pas
gerber sur Katy s'il ne voulait pas entamer le divorce d'une union
non affirmée.
– Ça ne va pas mon
poussin ? demanda Katy, un sourire narquois aux lèvres.
Thomas n'avait pas la force de
répondre. Sa pomme de terre avait vraiment du mal à passer. Il
n’avait pas fallu grand-chose pour qu'il se monte la tête et se
fasse tout un tas d'idées sur le dit cimetière. Il n'aimait pas
parler de ces endroits et encore moins entendre ce mot. Une sorte de
phobie qu'il ne comprenait pas.
Katy le regardait avec des yeux
avides. Elle savait qu'il craignait les cimetières plus que tout et
s'en délectait. Pour elle, c'était une petite vengeance pour ce
« week end de rêve dans un endroit paradisiaque ».
Cependant, sa minijupe et son décolleté se chargeraient bientôt de
faire revenir Thomas à un semblant de réalité. Cela aussi, elle le
savait. Elle le soupçonnait même de ne pas faire attention à autre
chose qu’à des fringues qui mettaient en valeur certaines parties
de son corps. Alors si elle pouvait jouer avec, en abuser, elle ne se
priverait pas. Elle voyait déjà la scène. Tout content, il
sourirait bêtement. Elle le laisserait faire durant quelques temps,
juste ce qu’il fallait pour lui faire croire qu’il avait
l’occasion de la satisfaire, voir de la faire grimper au rideau. Et
puis, au dernier moment, elle le jetterait et sortirait sans tourner
le dos, le laissant dans l’incompréhension.
L'agent Gordon chaussa ses
jumelles et activa la vision de nuit. Le ciel était clair et parsemé
de mille étoiles et la lune éclairait le cimetière d'un rayon
puissant et inquiétant. Le vent, faible, bruissait dans les feuilles
mortes des arbres en piteux état et quelques grillons et crapauds
avaient entamé un concert incompréhensible et redondant.
Cela ne semblait pas gêner
l'agent Gordon. Il prit une radio dans sa sacoche. L'appareil
grésilla quand il l'alluma.
– Gordone, c'est Gordon,
tu es où ? demanda-t-il.
Gordon et Gordone se faisaient
toujours avoir dans les couloirs de la caserne : quand on en
appelait un, les deux se retournaient. Ils voyaient la mine déconfite
de celui qui interpellait et qui avait oublié que même avec un
« e » de différence, leur nom se prononçait pareil.
Le central des opérations
appela Gordon.
– Gordon… Non pas :
Gordone, dit-il en appuyant sur le « e » final. Gordon !
Agent de liaison pour l’opération C27… Non, je n’ai pas le
contact encore. On est sur les lieux, je vous tiens au courant !
Terminé !
Bien qu’étant soldat, il
détesté être brusqué. Il s’était demandé plusieurs fois ce
qu’il foutait dans cette unité d’ailleurs.
Il rappela son coéquipier,
Gordone.
– Gordone ? Tu es
là ? Réponds !
Aucune réponse ne lui parvint.
Il s'apprêta à réitérer son appel quand sa radio crépita.
– Oui, je suis là ! Où
veux-tu que je sois ?
– T'es entré ?
– Oui. Je me dirige vers le
caveau central.
L'autre agent Gordone laissa
tomber sa radio qui se balança au bout de sa lanière, accrochée à
une ceinture. Il était vêtu d'un casque sur lequel était fixée
une lampe éteinte. Il se fondait dans l'obscurité grâce à sa
combinaison noire des forces spéciales. Il s'avança, aux aguets, en
fléchissant les genoux, une arme automatique à la main.
Il suivait le chemin de terre
boueux qui serpentait entre les tombes et qui menait à un cabanon de
ferraille rouillée. Pendant un moment, il oublia ce qu'il était
venu chercher ici. Il entendait des bruits étranges autour de lui.
Rien à voir avec les insectes, les crapauds ou les chouettes.
C'était un bruit sourd, un grognement peut-être et aussi des
craquements, il n'aurait su le dire exactement. Son entraînement lui
avait appris à ne pas avoir peur de l'inconnu mais d'en être
intrigué et de redoubler de prudence. Dans ce genre d'endroit, il
était tout à fait possible de tomber sur un loup affamé qui
l'aurait déchiqueté en un rien de temps.
La lumière dispensée par la
lune commença alors à se voiler pour le plonger dans le noir total.
Il regarda le ciel et remarqua qu'il s'était assombri tout d'un
coup. Une brume de plus en plus épaisse se faufilait entre les
tombes, semblant grimper sur les petites buttes de terre défraîchies.
Tout cela semblait bien anormal pour ne pas inquiéter l'agent
pourtant repu aux exercices « anti trouillomètre à zéro ».
Il arma son fusil et le mit en joue, près à tirer sur le premier
animal ou crétin qui oserait se présenter à lui sans y avoir été
invité.
Des grognements de plus en plus
sourds, rauques et longs se firent entendre. Il entendait aussi des
respirations saccadées et difficiles, des pas, des craquements et
des gémissements.
Il ne voyait pourtant rien
devant lui. La brume avait quasiment recouvert le cimetière. Une
brume épaisse et blanche qui lui semblait impossible à couper au
couteau.
Un loup hurla au loin, suivit du
hululement d’un hibou ou d’une chouette. Les craquements se
faisaient de plus en plus présents. Gordone comprit alors qu’ils
venaient de derrière lui. Il fit volte face en braquant son arme. Il
n’eut pas le temps de lancer une sommation, ni de crier et encore
moins de prévenir son coéquipier.
Une femme, décharnée, un œil
crevé, des lambeaux de chair pendant de ses bras et torse, une
partie du cuir chevelu arraché, plongea sur la gorge de Gordone. Les
dents du cadavre ambulant, ou du moins ce qu’il lui restait de
dents, déchiquetèrent la jugulaire de l’agent. Le sang se mit à
jaillir et Gordone repoussa son assaillant. Sous le choc, la lanière
de la radio craqua et celle-ci vola un peu plus loin. Pendant que
Gordon, l’autre agent, demandait un rapport depuis l’autre bout
du cimetière, une horde de zombies fondit sur le militaire pour
tenter de récupérer un peu de chair fraîche. Après quelques
secondes et quelques coups de dents, les hurlements de l’agent
Gordone se perdirent dans la nuit.
La brume sur tout le cimetière
et le soudain silence après le hurlement de terreur qu’avait
poussé son collègue ne présageaient rien de bon à Gordon. Avec
ses jumelles, il voyait quelque chose se mouvoir dans cette brume.
Des ombres. Mais tout était excessivement flou pour qu’il puisse
dire ce dont il s’agissait. Il pensait à des loups ou à la
rigueur à un ours. Il prit son arme, la prépara et laissa tomber sa
paire de jumelles. Il s’enfonça dans le cimetière, sa brume
inquiétante et ses bruits de plus en plus étranges.
Katy lisait une brochure rongée
par les mites, dans son coin, assise dans un fauteuil poussiéreux.
Elle avait une jambe posée sur l’accoudoir, l’autre sur le sol.
Elle remarqua vite le regard intéressé de Thomas. Garce jusqu’au
bout des ongles, elle avait dégrafé son décolleté d’un bouton
supplémentaire. Le mâle présent pouvait avoir une vue plongeante
sur la dentelle rouge de la féline qui se délectait de l’envie
qu’elle suscitait.
Pourquoi tu fais cela ?
demanda la voix de la raison à Katy.
Je pensais que ce week end
était une manière de me dire à quel point il tenait à moi, se
répondit-elle. Et puis, c’était un réel signe. Le signe que
je comptais, que j’étais importante pour lui. Une cabane en ruine…
tu imagines ce que je représente pour ce primate ? J’ai bien
le droit à ma petite vengeance, non ?
La voix ne répondit pas. Katy
en déduisait qu’elle avait raison de faire cela.
De son côté, Thomas regardait
par la fenêtre. Mais le reflet que lui renvoyait le carreau n’était
pas à son goût. Katy était toute difforme dedans et il ne voyait
pas bien ce qu’il voulait voir. Il la savait provocante parfois.
Elle avait joué de ses atouts physiques plus d’une fois avec lui.
Elle savait y faire et il fallait avouer que…
… elle est bonne !
pensa-t-il.
Dans ce cas, tu as devant toi
une invitation non dissimulée ! Jambes grandes ouvertes !
Fonce ! jubila une voix toute excitée dans sa tête.
Après tout, peut-être qu’il
pouvait tout de même faire sa demande.
Après avoir visitée la cave !
Après avoir visité la cave !
C’était cela. Tout n’était
pas complètement perdu tout compte fait. Lundi matin au boulot, il
pourrait annoncer qu’il allait avoir la fille la plus sexy comme
partenaire de vie !
Une brutale odeur de rat crevé
le tira soudainement de ses pensées.
Katy aussi la sentit. Elle jeta
un œil circonspect à Thomas qui humait l’air en faisant la
grimace.
Quelque chose cogna contre la
porte. Katy sursauta et Thomas changea de couleur pour virer au vert.
Le coup avait été violent et de la poussière tombait du plafond.
Un second coup se fit entendre à peine plus violent que le précédent
et un troisième arriva peu de temps après.
Thomas reculait lentement sans
quitter la porte des yeux. Katy était à genoux sur le fauteuil.
Elle regardait tour à tour la porte trembler et son copain qui
semblait avoir oublié, une fois de plus, qu’elle était là.
Des grattements vinrent
s’ajouter aux coups. Mais ils semblaient provenir de partout autour
de la cabane.
Katy commençait à avoir peur.
Elle tremblait.
Des plaintes rauques
amplifièrent les bruits déjà effrayants.
Dans une pièce à côté, un
carreau fut brisé. Katy sursauta et se leva d’un bond. Thomas fit
volte face et Katy remarqua qu’une tâche sombre apparaissait sur
l’entrejambe du pantalon de son compagnon. Elle sourit l’espace
d’une demi-seconde, le temps de réaliser qu’une chose étrange,
toute démantibulée, progressait vers eux. Une femme de ménage,
cela pouvait servir dans une cabane toute poussiéreuse, mais il y
avait des limites : elle traînait la jambe gauche, le soulier
raclant le plancher de bois déjà pas très net ; sa jambe
droite était déboîtée au niveau des genoux si bien que la rotule
faisait un drôle de bruit, une sorte de craquement gras ; Katy
se demandait comment elle arrivait à marcher. Et pire que tout, elle
bavait. De grosses gouttes de salive mêlée à des glaires verdâtres
tombaient sur le sol depuis une bouche bouffée par les vers – dont
certains grouillaient encore, cherchant vainement à s’échapper –
et dont la mâchoire inférieure était déboîtée. Katy recula avec
dégoût. Elle ne se demanda pas une seule fois ce que cette femme
faisait là. Elle était tellement paralysée par la peur et
l’horreur que lui inspiraient cette chose et ses gémissements,
qu’elle ne comprit pas qu’elle avait une morte pourtant vivante
en face d’elle.
Thomas, lui, commençait à
claquer des dents, les yeux tellement écarquillés qu’ils allaient
s’éjecter de leur orbite sous peu. Il ne trouva rien de mieux à
faire que d’envoyer une vieille boîte de conserve qui traînait
là. Le pot de métal rebondit sur la tête de la femme de ménage
qui chercha d’où pouvait débouler l’objet qui était venu à la
rencontre de son crâne.
Fort et courageux, Thomas fila
direct dans ce qui devait être un débarras, encore plus crade que
le reste de la cabane. Il manqua glisser sur des fientes d’oiseaux
et les crottes de rats qui s’amoncelaient un peu partout. Il
n’entendit pas ou plutôt ne prêta pas attention à une voix
féminine, derrière lui, qui l’implorait de l’attendre. Il
ouvrit la première porte qu’il trouva, s’entrava dans quelque
chose et se retrouva la tête la première dans une flaque de boue.
Katy, plus prudente, enjamba le
râteau qui avait envoyé Thomas à sa juste place. Ce dernier
s’essuyait la figure et dégageait ses yeux. Il vit Katy, très
floue, mais reconnut qu’elle était passablement en colère. Il vit
la bague de fiançailles s’envoler loin et l’attestation de
mariage avec.
– Tu as pu t’en tirer ?
demanda-t-il avant de réaliser, un peu tardivement, que sa question
était ridicule sinon débile.
– Pas grâce à toi en tout
cas ! répondit Katy sèchement.
– Ça va, je t’ai frayé un
chemin !
– Pauvre connard !
explosa Katy, n’en pouvant plus de se retenir.
Thomas se releva, dégoulinant
de boue.
– C’est quoi ton
problème ? demanda-t-il, révolté.
– Mon problème ? C’est
toi minable ! T’es bon à rien ! Et moi ? Moi, je
suis tout juste bonne à te servir de sac à foutre ! T’es
jamais là, tu m’ignores. J’ai besoin d’attention mais tu ne
penses qu’à regarder tes reality show à la con ou à jouer
sur ton ordinateur à la con !
– Je ne pense pas que ce soit
bien le moment de parler de tout ça, chérie…
– Je ne suis pas ta…
Mais Katy ne put finir. Elle ne
réalisa pas tout de suite que la femme de ménage les avait suivis
et avait rameuté quelques uns de ses copains pour l’occasion. Il y
avait dans le lot, deux militaires dont un gradé, un autre type avec
une barbe en piteux états, comme tout le reste de la bande
d’ailleurs, et une femme enceinte. Ils avaient tous une démarche
complètement désorganisée comme si le cerveau ne rencardait pas
correctement le reste du corps sur ce qu’il devait faire. Le ventre
de la femme enceinte bougeait anormalement et Thomas détourna les
yeux. Il s’était remis à trembler et reprenait sa course.
Katy hurla bien évidemment,
loin derrière lui. Elle ne hurlait pas de frayeur mais plutôt de
douleur. Thomas entendit la chair craquer, les tissus musculaires
s’arracher et prit quelques secondes dans sa fuite pour vomir le
peu qu’il avait dans l’estomac. Il repartit et au détour d’un
muret en ruine, qui devait jadis délimiter la parcelle de terrain
accompagnant la petite cabane, il tomba nez à nez avec un homme bien
mal en point. Il était vêtu de noir de la tête aux pieds, saignait
pas mal de diverses blessures faites un peu partout sur le corps –
Thomas crut voir qu’une partie de son avant bras avait été
arrachée – et portait un attirail militaire des plus
impressionnants.
L’Agent Gordon prit
difficilement une grenade, la dégoupilla dans un effort surhumain
alors que Thomas se vidait une seconde fois dans son pantalon, se
faisant la réflexion de ne s’être jamais demandé comment cela
était de mourir en s’éparpillant brutalement un peu partout.
Au lieu de cela, il vit le corps
d’un des militaires, aux gestes désorganisés, coupé en deux par
la déflagration de la grenade que lui avait envoyé l’homme en
noir. Thomas n’avait même pas remarqué qu’il était suivi. Ce
qui l’étonna encore plus, ce fut de voir le militaire ramper à la
force des bras, traînant ses boyaux, dans leur direction et sa
seconde moitié tenter de se relever avec peine.
Thomas se redressa et s’élança
de nouveau mais l’agent Gordon le retint. Thomas vit alors les yeux
étrangement transparents du militaire.
– Petit, dit celui-ci,
fais gaffe ! Ne te laisse pas mordre… Ne te laisse pas
prendre… Ils… peuvent… penser…
Il eut un soubresaut, quelques
spasmes, ferma les yeux et quand il les rouvrit, ils étaient blancs
opaques.
Le hurlement que voulut pousser
Thomas se perdit au fond de sa gorge. Il tenta désespérément de se
défaire de la poigne du militaire qui, lui, essayait de croquer un
morceau du bras du jeune homme.
Thomas prit une pierre reposant
un peu plus loin et assena quelques coups sur la tête de Gordon qui
grogna à chaque fois que le caillou essayait de lui défoncer la
boîte crânienne. Quand celle-ci céda et qu’un jet de sang
dégoulina sur son visage, il lâcha Thomas dans un air hébété.
Le jeune homme en profita pour
s’échapper tout en regardant son bras, pour voir s’il n’avait
pas été blessé, et en jetant de temps à autre des coups d’œil
derrière lui. Il crut voir, l’espace d’un instant, une minijupe
qu’il connaissait bien.
Katy déambulait parmi ses
nouveaux amis, les bras ballants, en gémissant et bavant.
Par contre, il ne vit pas ce
qu’il y avait devant.
À savoir un arbre centenaire.
Quand il se réveilla, Katy
était au dessus de lui. Elle bavait encore – d’ailleurs il en
recevait une bonne dose sur la figure – et chassait ses
compatriotes à coups de pelle. L’ustensile avait des traînées de
sang un peu partout. Thomas en déduisit qu’elle avait déjà
décapité certains morts-vivants désireux de goûter à sa chair
fraîche.
Certes, elle était hideuse
maintenant. Ses cheveux s’étaient ternis, sa peau avait bruni,
parsemée de trous et des vers commençaient à courir là où les
doigts de Thomas aimaient s’aventurer auparavant. Mais elle avait
gardé quelques souvenirs et apparemment, personne ne toucherait à
SON chéri.
Bien qu’il lui serait
impossible de la toucher désormais…
Elle est dégueulasse !
Elle est immonde ! Elle n’est plus bonne à rien ! Oh !
Et puis elle bave ! dit la voix au fond de son crâne.
… il voyait que la mort
n’avait pas terni son amour pour lui.
Katy grogna et montra ce qui lui
restait de dents. Elles se détachaient une à une. En grognant un
peu fort, Katy en perdit une, qu’elle cracha sur la bouche de
Thomas sans même s’en rendre compte. Il eut envie de vomir en
sentant l’impact de la dent sur sa peau et le sang mêlé à la
salive de Katy.
La jeune fille, ou du moins ce
qu’il en restait, agrippa Thomas par la chemise et le força à se
relever. Elle regardait les autres zombies avides de la chair de
Thomas. Elle passa devant, entraînant son copain dans son sillage.
Thomas sentait la poigne de fer
de Katy et il crut même que sa chemise allait finir en lambeaux
tellement elle tirait fort dessus.
Ils entrèrent dans le cimetière
proche de la cabane. La brume envahissait encore les lieux. Thomas
reconnut, un peu plus loin, l’agent qu’il avait croisé avant que
celui-ci ne tente de le mordre. Il en vit un autre, un peu plus haut,
sur une butte. Il lui semblait voir une pioche enfoncée dans le
sommet du crâne. Le malheureux tentait désespérément de la
retirer mais ne parvenait pas à fermer ses mains sur le manche. Il
se cognait sur à peu près toutes les tombes qu’il croisait et
parfois, un arbre faisait bouger la pioche quand le manche venait le
heurter.
Katy fit s’arrêter Thomas devant une tombe vide. Le jeune homme sourit et se tourna vers elle, ne comprenant pas ce qui se passait.
Katy fit s’arrêter Thomas devant une tombe vide. Le jeune homme sourit et se tourna vers elle, ne comprenant pas ce qui se passait.
Il vit Katy sortir une arme
automatique de sous la ceinture de sa jupe. Elle examina l’arme, à
la fois curieuse et interloquée, comme si elle ne savait pas s’en
servir alors qu’elle savait quel en était l’usage habituel.
Thomas leva les mains devant lui.
– Chérie… Écoute,
commença-t-il. Ce n’est peut-être pas la peine de jouer avec ça…
Katy regarda Thomas et il lui
sembla déceler une sorte de sourire malicieux sur le visage difforme
de sa copine.
Ex copine ! reprit
la voix. Tu ne vas pas me dire que tu comptes tirer ce machin
maintenant !
La voix n’avait pas tort bien
entendu. Mais il comprit alors ce qu’elle voulait. Ces derniers
temps, il n’avait pas été très présent. Elle le lui en avait
fait la remarque peu de temps avant dans la cabane. Il l’avait un
peu oubliée, il avait pensé que tout lui était acquis, qu’elle
serait sa femme mais n’avait pas fait attention à ses désirs à
elle.
– On va rentrer, calmement…
Il fut interrompu par le coup de
feu qui partit. La balle fit sauter une touffe d’herbe et de terre
à quelques centimètres du pied gauche de Thomas. Katy releva la
tête, satisfaite d’avoir compris le fonctionnement de l’engin.
– Pose ça Katy ! Ça
suffit tes gamineries !
Un second coup partit alors que
Katy visait vers Thomas.
La balle vint lui éclater la
tête.
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