23 juin 2000.
Au sud du Texas.
Allen s’installa sur une
chaise au premier rang de la salle. Cette dernière en comptait une
petite trentaine en tout, détail que Allen ne remarqua même pas. Il
ne pensa pas non plus que, pour ce genre de spectacle, trente
chaises, c’était déjà beaucoup trop, d'autant plus qu'en
comptant les journalistes, il ne devait pas y avoir plus de sept ou
huit personnes.
À ses côtés, il y avait des
membres de sa famille qui pleuraient. Et devant lui, plus loin, il y
avait la vitre. La baie vitrée qui paraissait immense et qui
séparait la salle et ses trente chaises d’une pièce où était
placé un lit avec des sangles pendantes. Une pièce toute blanche,
froide, sans vie, dotée d'une seule porte.
Dans quelques instants, on
allait faire entrer un type. On allait le sangler fortement à ce lit
et s’il décidait de jouer les fortes têtes, on s’y prendrait à
plusieurs mais c’était une certitude : il allait s’allonger
là-dessus.
Allen n’avait jamais assisté
à une mise à mort. Pas même à la télé, dans un film ou dans un
documentaire. C’était sa première fois. Il ne
sut comment cela se passerait jusqu’au moment où sa famille reçut
les indications et règles à suivre par courrier. Tout était
détaillé sur la lettre, depuis leur arrivée au bâtiment
renfermant la chambre d’exécution jusqu’à la fin du détenu.
Sur une vidéo, il avait pu voir
ce qui pouvait se passer. Tous les scénarios avaient été pensés :
présence de réactionnaires contre la peine de mort à l’entrée
du bâtiment, mauvaise coopération du détenu – ce qui pouvait
s’expliquer tout de même – ses derniers mots, ses dernières
pensées, son dernier souffle. Sa famille et lui-même étaient
également prévenus qu’ils pouvaient entendre des cris ou des
pleurs depuis la salle à côté de la leur. En effet, le détenu
avait le droit de choisir cinq personnes de son entourage pour
assister à son exécution. Si les deux familles ne pouvaient se
voir, elles pouvaient s’entendre.
Enfin, il y avait des
journalistes. Cinq en tout, répartis dans les deux salles.
Bien qu’ayant vu et revu la
vidéo, Allen ne savait pas à quoi s’attendre le jour J. Il allait
assister à la mise à mort de celui qui avait arraché la vie à sa
sœur, à son beau-frère et à sa nièce, alors âgée de cinq ans.
Le gars, un noir d’une
trentaine d’années, prénommé Joe, avait débarqué chez eux pour
piller leur maison. Allen ne voyait pas trop ce qui aurait pu être
volé. C’est certainement ce dont Joe se rendit compte.
Cependant, il ne laissa aucun témoin dans la maison. Il commença
par descendre Paul. Maddy avait certainement hurlé à ce moment là,
tellement que la petite était sortie de sa chambre afin de savoir
pourquoi sa maman gueulait comme ça. Joe avait alors fait sauter le
crâne de la mère. Il avait ensuite écrasé la tête de la petite
Giny contre le parquet et avec une violence telle que le légiste
avait retrouvé des éclats de bois dans le crâne.
Tout cela s’était passé très
vite. La vie de tous avait basculé en un rien de temps. Et
aujourd’hui, 252 jours après le verdict du procès, tout allait
être terminé. Justice serait rendue.
252 jours seulement passés à
Linvingston, dans le couloir de la mort, c’était un record au
Texas. Beaucoup de prisonniers attendaient plus longtemps la date de
leur exécution. L’un d’entre eux avait attendu 24 ans avant d’en
finir.
Allen s’était intéressé à
cette institution qui prenait les meurtres très au sérieux. Au
Texas, on ne badinait pas.
Il savait par exemple que l’âge
requis pour être condamné à mort était 18 ans. Il savait aussi
que la Cour Suprême avait aboli la peine capitale entre 1967 et
1976, avant qu’elle ne change d’avis et que les Etats puissent
instaurer cette peine dans leur propre législation. Ainsi, chacun
faisait ce qu'il voulait. On pouvait passer sur la chaise électrique,
être empoisonné, pendu ou encore fusillé. Dans certains Etats, le
détenu avait le choix de son exécution. 755 d'entre elles avaient
eu lieu de 67 à 76 et 345 depuis.
Allen ne savait pas vraiment
pourquoi il avait retenu tous ces chiffres. Il en savait plus
d’ailleurs. Il savait quel était le plus jeune condamné : Jay
Kinkerton, 24 ans, exécuté le 15 mai 1986. Et le plus vieux :
Clydell Coleman exécuté le 05 mai 1999 à l’âge de 62 ans.
Egalement l’âge de la plus vieille condamnée du Texas, Betty
Beets, exécutée le 24 février 2000.
Cela l’aidait peut-être de
savoir tout cela. Ça l’aidait à se faire une raison en ce qui
concernait la disparition de sa sœur. Ça l’aidait de savoir que
cette institution existait réellement. Il était allé jusqu’à
chercher tout ce qui pouvait conduire un criminel à la peine
capitale. La liste n’était pas très longue mais suffisante :
meurtre d'un policier ou pompier ; meurtre commandité ; crime sexuel
aggravé ; meurtre dont le mobile était l’argent ; meurtre durant
une évasion ; meurtre d'un employé de prison ; meurtres multiples ;
meurtre d'un enfant de moins de 6 ans.
Oui, ça le rassurait de savoir
que Joe avait enfreint au moins deux des lois texanes. Le meurtre de
sa soeur ne resterait pas impuni. En plus, il n'avait pas fallu
attendre trop longtemps. Moins d'un an, ce qui était assez rare,
voir inédit.
Il en était encore à ressasser
tout cela lorsque la porte de la pièce vitrée s'ouvrit. Un gardien
pénétra à l'intérieur, suivi de près par Joe, enchaîné,
entraves aux pieds reliées à des menottes aux poignets. Derrière,
le médecin chargé de constater l'heure du décès et enfin
l'aumônier, qui allait prodiguer les derniers sacrements. Pour
fermer la marche, deux autres gardiens entrèrent et Allen savait
qu'il y en avait d'autres encore derrière la porte, pour le cas où
ça se passerait mal.
Quand il vit la sueur perler et
dégouliner sur le visage de Joe, Allen sut qu'il allait il y avoir
du remue-ménage. Plus il s'approchait du lit à sangle et plus Joe
tremblait. Il semblait obnubilé par l'objet. Le gardien, qui le
tenait par une chaîne commença à tirer dessus pour le faire
avancer, comme on le ferait d'un chien se prenant d'un trop grand
intérêt pour un arbre qu'il allait arroser. Les deux autres
gardiens déposèrent leur fusil pour s'avancer vers le détenu, prêt
à un rapport de force comme ils en voyaient quelques fois. L'un des
gardiens le prit par la poitrine d’un bras, l'autre bras passant
juste sous son cou. L'autre gardien le prit par les jambes.
Joe se débattait. Il essayait
surtout de libérer ses jambes. Il fermait les yeux, serrait les
dents et pleurait en gémissant.
Les gardiens réussirent à
l'allonger sur le lit. Leur confrère, celui qui menait la cérémonie,
se chargea de le harnacher avec toutes les sangles disponibles sur le
lit : une à la tête, trois sur la poitrine et les bras et quatre
sur les jambes dont l’une enserrait les chevilles. Joe ne pouvait
plus bouger, pas comme le maître de cérémonie l'avait sanglé.
Les gardiens regagnèrent leur
place et reprirent leur fusil. Le calme était revenu, si l'on
exceptait les sanglots de Joe. L'aumônier récitait ses prières.
Le maître de cérémonie mit
les mains dans le dos en se tenant lui-même à l'écart du détenu.
« Détenu Joe Allenbeck,
avez-vous une dernière déclaration à faire ? » demanda-t-il
alors, le plus calmement du monde.
On n’avait pas l’impression
d’un homme qui allait ordonner que l'on en mette un autre à mort.
D'ailleurs, Allen surveillait les moindres faits et gestes du
gardien. Il avait appris que l'injection létale se faisait sur son
ordre mais qu'aucun mot n'était prononcé. Il y avait un geste
anodin de fait et le poison était injecté. Depuis l'entrée de cet
homme dans le couloir de la mort, tout n'était qu'un jeu du chat et
de la souris, jusqu'à la fin. Allen avait compris cela mais ne s'en
offusquait pas. C'était presque normal pour lui. Le fait qu'un homme
puisse souffrir psychologiquement en attendant la mort dans une
cellule de quatre mètres sur trois, que les gardiens puissent jouer
avec cela, ne l'avait pas dérangé et ne le dérangerait
certainement pas ce jour.
Joe pleurait, ses lèvres
tremblaient, Allen savait qu'il voulait dire quelque chose.
« Je suis innocent. Je
n'ai pas tué ces gens ! C'est un meurtre de plus que le gouvernement
de ce pays autorise ! » commença-t-il.
Ils étaient tous innocents, ce
n'était pas nouveau. Peut-être que Joe attendait encore le coup de
fil du Président, celui qui allait lui donner un sursis de plus.
Mais il aurait dû savoir qu'il était déjà trop tard. Ce coup de
téléphone venait au plus tard un quart d'heure avant l'exécution,
pas après. Dès lors que les gardiens venaient ouvrir la porte de la
cellule du détenu pour l'embarquer sur son ultime couche, s'en était
fini de lui.
« Tout ceci n'est qu'une
mascarade ! J'ai été piégé ! continua-t-il. Tout ça parce que je
suis noir! Cet acte vous suivra toute votre chienne de vie ! Sachez
que vous avez condamné un innocent et que vous allez tuer un
innocent ! Oui ! Regardez-moi bien parce que ce n'est pas le visage
de celui qui a assassiné ces pauvres gens que vous voyez !
C'est celui d'un innocent ! Le coupable court toujours ! Soyez damnés
! »
Joe pleurait. Mais ce n'était
pas ses larmes qui l’étouffaient. Allen n'avait rien vu. Le
gardien avait fait le signe. Certainement, les journalistes s'étaient
livrés au jeu de découvrir lequel. Durant une époque, les maîtres
de cérémonie faisaient toujours le même geste. Quand un
journaliste découvrit qu'il s'agissait du fait de relever une paire
de lunette, il fut décidé que le geste changerait à chaque
nouvelle exécution.
Le gardien avait fait quelque
chose qui déclencha le processus. Le poison s'était infiltré dans
les veines de Joe et l'effet fut immédiat. Son diaphragme s'était
comprimé, sa respiration coupée. Joe eut un dernier soubresaut, un
dernier râle et retomba inerte sur le lit. Il eut de la chance dans
son malheur, ceux qui tentaient de parler à ce moment là,
finissaient la bouche ouverte et les yeux en arrière, dans un rictus
horrible.
Le médecin s'approcha et nota
que Joe ne respirait plus. Il annonça l'heure du décès.
Allen ressentit un soulagement.
C'était fini. 252 jours après le procès qui avait duré plus d'un
mois, c’en était terminé. Et il avait assisté à sa première
exécution. Il ne ressentait pas pour autant un plaisir malsain, un
plaisir de soulagement. Sa soeur et sa famille avaient dû mourir
pour cela. Il se sentait tout de même vidé.
Heureux ? lui dit une
petite voix dans sa tête. Première exécution... ça se fête,
tu ne crois pas ? Enfin... C'est dommage pour la frangine, le
beau-frère et la petite...
« Ça va, n'en rajoute pas
non plus », répondit-il par la pensée.
Il aurait été indécent que le
reste de la famille entende ce qu'il venait de dire. Il eut cependant
un très léger sourire dont il ne rougit pas.
Dommage aussi pour le nègre,
continua la petite voix.
« On ne fait pas
d'omelette sans casser des œufs ! C'était le prix à payer. C'est
tombé sur lui. »
Et maintenant ?
« Je n'ai jamais vu de
trains dérailler... »
C'est en me levant à 4h16 du
matin pour une envie pressante que j'ai eu l'idée de cette nouvelle.
Imaginer ce que l'Homme serait capable de faire pour parvenir à ses
fins ou pour satisfaire son seul plaisir permet de se demander
jusqu'où irait sa propre imagination dans l'horreur.
Cela dit, avant de m'y
atteler, il m'a bien fallu faire quelques recherches sur les peines
de mort. Il était évident que, par souci d'authenticité, je ne
pouvais pas faire se dérouler l'action en France. Les Etats-Unis
étaient donc plus appropriés pour cet exercice de style. Et je
savais que le Texas était assez partisan de la peine capitale, si ce
n'était fanatique ! Sur ce formidable outil qu'est le Net, on ne
cherche pas très longtemps pour tomber sur un site présentant
l'histoire et les méthodes des peines de mort dans le monde en
général et dans les différents Etats de l'Amérique en
particulier. C'est sur l'un de ces sites que j'ai trouvé l'histoire
de Gary Graham, condamné pour un meurtre qu'il n'avait peut-être
pas commis.
Les faits se déroulent en
1981. Gary est arrêté pour vol, pour lequel il plaide coupable. Une
semaine après, il est inculpé du meurtre de Bobby Lambert survenu
le 13 mai 1981. Il est âgé de 17 ans seulement. C’est sur le seul
témoignage de Bernadine Skillern, témoin oculaire, qu’il sera
envoyé dans le couloir de la mort. Pourtant, Bernadine a vu la scène
avec une vue défaillante alors qu’elle roulait en voiture et que
des arbres lui bouchaient partiellement la vue. Plus tard, cette
déposition sera sujette à caution vu les techniques de persuasion
employées par la police. Mais il sera déjà trop tard. Gary avait
été reconnu coupable par un jury composé de 11 blancs et 1 seul
noir. De plus, les avocats n’ont jamais demandé que d’autres
témoins oculaires, qui eux n’avaient pas reconnu Gary Graham comme
étant le meurtrier, viennent témoigner. Ils n’ont pas non plus
jugé bon de préciser au jury que l’arme retrouvée sur Gary
n’était en aucun cas celle qui avait tiré le coup fatal.
Hormis le vol et autres
délits du même genre, le seul crime dont fut coupable Gary, était
de ne pas être de la bonne couleur…
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