dimanche 16 octobre 2016

Super-Héros

Spiderman, Batman, Superman, Hellboy, les X-men...

Albert les connaissait tous. Il avait vu les films et lu les comics relatant les aventures de ces hommes et femmes surhumains. On pourrait rire d'un homme approchant de la quarantaine qui lisait encore ce genre de livres mais Albert était comme ça. Il admirait ces supers héros pour leur courage, leur envie de sauver les innocents, leur envie de vivre. Il comprenait aussi pourquoi ces hommes pouvaient souffrir de leurs pouvoirs.
Il se sentait un peu comme eux parfois. La sensation d'être différent, d'être autre chose et donc incompris. Il avait un pouvoir lui aussi. Il le sentait. Il pouvait lire dans le regard des gens et dans leur coeur aussi. Il pouvait savoir si la personne qu'il croisait était une personne saine, calme, généreuse où si elle penchait sur la pente glissante du mal. Il savait les reconnaître et ne s'était jamais trompé.
Un jour, il avait vu que cette femme s'apprêtait à faire quelque chose de pas très catholique. Il ne savait pas vraiment quoi, mais il savait parfaitement qu'elle allait faire quelque chose de mal. Elle avait tenté de voler dans un grand magasin d'après ce qu'il en vit quelques temps plus tard.
Un autre jour, il avait vu que cet homme allait également contribuer à ce que les choses ne se passent pas pour le mieux. Il avait provoqué une bagarre dans un bar et avait envoyé un autre type à hôpital.
Mais il se rappelait surtout de cet après-midi où il n’avait eu qu'à tendre fermement le bras pour allonger un petit délinquant. Celui-ci avait piqué le sac d'une dame qui, en plus de sa corpulence, n'avait pu courir après le malfrat à cause de la poussette qu'elle traînait. Albert n'avait pas été là par hasard. Il avait senti, il savait que quelque chose allait se passer ici même, à ce moment précis. Il était doué pour ces choses là et il le savait.
Une fois, il se demanda pourquoi il était capable de deviner ce qu'allaient faire les gens ou pourquoi il était capable de voir ce qu'étaient ces gens, de l'intérieur. Il pensa tout d'abord que c'était à cause de quelque chose en lui, une sorte de force ou d'instinct qui se déclenchait un peu comme un radar. Mais cette explication, même s'il lui était impossible de l'exprimer clairement, ne lui convenait pas : c'était beaucoup trop simple. Non, il préférait croire qu'il avait été piqué par une bestiole qui lui avait transmis un pouvoir surnaturel, le rendant spécial. C'était cela, il était spécial. Grâce à un taon qui l'avait piqué alors qu'il était petit. Il se souviendrait de cette douleur pour le restant de ses jours. Il avait souffert. Mais cette souffrance lui avait été bénéfique sur un point : elle l'avait rendu hors du commun. Et parce qu'il était un être à part, il devait se servir de ce pouvoir pour aider les gens. Il devait faire comme tous ces supers héros et se mettre au service de la veuve et de l'orphelin. Il devait également se protéger car ce pouvoir allait certainement lui attirer pas mal de jalousie.
Il devait donc évoluer dans l'ombre. Il devait avoir deux identités. La première lui permettrait de dresser le portrait de ses proies, de ses victimes. Il repèrerait les gens malsains sans que ceux-ci ne se doutent de quoi que se soit. Il ferait ce travail, cette recherche, durant la journée, il avait tout le temps du monde. La seconde lui permettrait de stopper les malfrats avant qu'ils n'agissent. Pour cela il lui faudrait un costume pour ne pas être reconnu. Un costume noir, pour ne pas être vu. L'ombre serait son alliée. Il devait aussi se muscler et s’entraîner dans l'art du déplacement silencieux, pour ne pas être entendu. Et il lui fallait un masque, pour ne pas être reconnu. Durant un temps, au début du moins, il ne pouvait rien faire pour cette seconde partie du plan. Mais il pouvait s'entraîner à affiner son pouvoir, à le rendre plus intuitif, plus aigu. Quitte à laisser les criminels en liberté. Il ne pouvait risquer de se faire prendre à sa première sortie. Et puis, la criminalité avait toujours existé, bien avant qu'il ne soit né, alors ça pouvait attendre encore quelques jours. Même s'il voulait rester dans l'ombre, il lui fallait un nom. Un pseudo. Un nom de scène. Il se pouvait que l'on vienne lui demander comment il s'appelait. Une personne dont il aurait sauvé la vie se sentirait encore plus en sécurité en sachant quel nom mettre sur cet individu masqué et énigmatique. Mais le plus important était qu'il devait se retirer. Il devait éviter de rencontrer du monde. À force, il allait se faire des ennemis et ils profiteraient de la moindre occasion pour s'en prendre à lui. Et c'était bien connu : les méchants ne s'en prenaient jamais à leur adversaire directement. Ils s'en prenaient d'abord à un de ses amis, sa femme ou ses enfants, juste pour l'atteindre plus efficacement. Par chance, Albert n'était pas marié et n'avait pas d'enfants. Quant à ses amis, ceux qui étaient ici, autour de lui, il arriverait à les protéger. Tout semblait parfait. Il n'avait omis aucun détail. Seul l'entraînement lui manquait et il était décidé à s'y mettre tout de suite. Il faisait déjà pas mal d'exercice alors il pouvait se permettre de passer à la vitesse supérieure et vivre sur ses acquis. Il décida de tenter un exercice simple qui, pourtant, était primordial : savoir courir dans les escaliers. Il fallait toujours savoir courir dans les escaliers. C'était la règle numéro un des supers héros : « Si tu ne sais pas courir dans un escalier, ton ennemi juré saura te plomber ! »
La première marche était parfaite. La seconde aussi. La troisième passait. La quatrième joua les rebelles. Albert trébucha et roula au bas de l'escalier.

Quand il se réveilla, il avait le bras gauche et la jambe droite dans le plâtre. Il avait également une affreuse migraine. Et le Docteur Egart était assis sur le bord de son lit. Albert lut dans ses yeux qu'il était à la fois mécontent et désolé, voir désespéré. Le Docteur Egart était gentil et patient avec Albert. Il lui parlait toujours très tendrement. Albert ne comprenait pas, il n'était plus un gosse et pourtant le toubib lui parlait comme s'il était un gamin.
« Albert... commença-t-il. Vous avez encore essayé de jouer les super héros, c'est ça ? Combien de fois vous l'ai-je dit ? Ces personnes ne sont que des personnages de fiction. C'est pour cela qu'on les appelle "personnages". Ils n'existent pas. Ils ne sont là que pour faire rêver, tout en vous permettant de vous identifier à eux avec des éléments que tout un chacun peut connaître ou reconnaître. C'est ce qui les rend plus humain. C'est ce qui rend le livre intéressant et plus vrai. Mais ça doit s'arrêter là. Ça doit continuer à faire fonctionner votre imaginaire, pas à vous faire perdre pied avec la réalité des choses. On comprendra qu'un enfant puisse se prendre pour Zorro ou James Bond. Mais vous... Franchement ! À votre âge. »
Il marqua une pause mais Albert ne réagit pas.
« Albert. Vous n'êtes plus un enfant. Il faut remettre les pieds sur terre. »
Albert ne réagit toujours pas. Le Docteur Egart se leva et baissa la tête. Il pensait bien que tout ce discours était inutile mais il fallait le tenir, encore et encore. Il tapota l'épaule de Albert, tendrement, avant de sortir.

Trois mois, pas plus. Avec la rééducation, il fallait compter trois mois avant que tout redevienne normal. Après cela, Albert corrigerait les erreurs. Et il partirait défendre la veuve et l'orphelin.

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