Lundi.
« Trois fautes dans cette
simple annonce ! Vous vous fichez de qui ? »
Mardi.
« Vous avez oublié de
ranger ces dossiers hier soir avant de partir ! Et si quelqu'un les
avait lus ?
- Je suis navrée monsieur, je
n'ai pas fait attention, cela ne se reproduira plus. »
Mercredi.
« 13h, j'ai un dîner
important. Je ne veux être dérangé sous aucun prétexte ! Nous
aurons la visite des ateliers dans l'après midi, je tiens à ce que
tout soit parfait ! Alors occupez-vous de cela ! Et n'oubliez pas !
QUE TOUT SOIT PARFAIT ! »
Jeudi.
« Vous n'êtes vraiment
bonne à rien ma petite ! »
Vendredi.
« Déjà que vous n'en
faîtes pas lourd et vous osez demander des vacances ! C'est le monde
à l'envers ! »
Samedi.
« Je sais que demain c'est
dimanche mais vous allez devoir faire un petit sacrifice. Nous avons
un important client qui arrive lundi. Je veux que vous vous occupiez
des préparatifs pour la réception ! »
Dimanche.
« Non ! Non ! Non ! Mettez
plutôt le buffet dans ce coin là-bas ! Mais où avez-vous la tête
! J'aurai mieux fait de venir le faire moi-même ! »
Ce n'était pas comme cela
toutes les semaines. Au moins en ce qui concernait le fait de venir
travailler à l'œil le dimanche.
Gladys ne savait pas pourquoi
elle continuait à encaisser toute cette médisance. Par contre elle
savait qu'elle ne tiendrait plus le coup très longtemps. Sans arrêt,
à chaque fois que son patron, Monsieur Walhberk, lui gueulait
dessus, qu'il lui faisait un reproche ou une réflexion mal placée,
une petite voix venait lui dire de ne pas se laisser faire, de se
révolter. Mais elle en était incapable. C'était son boulot, elle
ne pouvait pas faire autrement.
Ce soir-là, elle faisait
quelques heures supplémentaires, pour prendre de l'avance dans son
travail. Si son patron voyait traîner des dossiers plus de 24
heures, il gueulait. Il lui arrivait même de prendre les dossiers et
de les jeter à la poubelle ou alors de les envoyer à travers le
bureau. Il s'ouvraient en plein vol bien entendu et s'éparpillaient
un peu partout dans la petite pièce. Gladys prenait encore un bon
quart d'heure pour remettre les fiches à leur place.
Elle pensait que, quelque part,
il avait raison de faire cela en rajoutant une phrase au ton ironique
comme : « Pffff ! J'ai compris ! Si ce dossier traîne c'est
que le client auquel il est rattaché ne vaut rien ! Autant qu'il
finisse dans la poubelle ! » Il avait raison car cela
permettait à Gladys de tirer des leçons de ses erreurs et
d’évoluer. Seulement elle faisait des efforts, tous les jours,
elle le savait. Mais il semblait que son patron n’était jamais
assez satisfait de ses efforts. Elle se demandait même s'il les
voyait. Un jour, elle avait préparé la veille les dossiers du
lendemain, histoire qu'il gagne du temps en arrivant. Elle avait
également mis une note sur son bureau pour lui signaler les points
importants de chaque dossier et lui rappeler ses rendez-vous de la
journée.
« Quand j'aurai besoin
d'une baby-sitter, je vous le ferais savoir ! Et d'une ! Et de deux,
ce n’est certainement pas vous que je prendrai ! »
Ce furent les seuls
remerciements auxquels elle eut droit en arrivant à son poste le
lendemain. Jamais plus elle ne tenta de renouveler l'expérience.
Quelque part en elle, elle
espérait encore le voir changer. Elle espérait encore entendre des
mots gentils et doux de la bouche de son patron. Elle espérait voir
de la reconnaissance dans son regard.
Les jours passaient et rien en
lui ne changeait. Elle avait beau faire quelques petites choses pour
lui simplifier la vie ou se rendre utile, comme par exemple lui
proposer un café en milieu de journée, rien n'y faisait. Il restait
de marbre.
La première résolution et
véritable acte de révolte de Gladys fut de ne plus faire autre
chose que ce qu'il lui était demandé. Mais comme son patron ne
s'apercevait même pas des petites attentions qu'elle pouvait
apporter, il ne se rendit pas compte qu'elle les avait cessées.
Elle continua de se faire
insulter, incendier et au fil du temps, cela devint une sorte
d'habitude. Elle n'y prêtait presque plus attention. Elle était
blindée. C'est du moins ce qu'elle croyait.
Au long des semaines, les
insultes et autres remarques désobligeantes fusaient. Certaines
personnes, qui travaillaient en relation avec le patron de Gladys, se
demandaient comment elle faisait pour ne pas craquer ou simplement
rester à ce poste. Elle répondait que ce n'était vraiment rien,
qu'elle accusait le coup du mieux qu'elle le pouvait car elle n'avait
pas le choix. Elle ne pouvait pas faire autrement. Elle n'avait que
ça pour vivre. Ou plutôt survivre.
Seulement Gladys avait pris la
résolution de ne plus se laisser faire. Non seulement elle
refuserait de se faire insulter mais en plus, elle allait rendre coup
pour coup. Voire rendre les coups au centuple. Pour cela, elle devait
s'attaquer à ce que ce gros porc qui lui servait de patron avait de
plus cher. Même s'il était assez proche de son entreprise, il
fallait l'en rapprocher encore plus. Elle devait donc éliminer tous
les éléments gênants. À commencer par sa famille.
Quelques jours après que
Monsieur Walhberk ait reçu une délégation parmi laquelle comptait
Melle Lasseter, Madame Walhberk reçut une grande enveloppe de papier
kraft. Ce qu'elle en sortit brisa une grande partie de la vie qu'elle
avait contribuée à construire. Une suite de photos présentait son
mari en présence d'une jeune femme. Il la tenait par la taille sur
l'une, semblait se diriger vers un restaurant sur l'autre. Sur une
troisième, on le voyait assis à une table et tenir Melle Lasseter
par la main. Une lettre accompagnait les photos. Elle était passée
au traitement de texte, certainement pour que l'on ne puisse pas
reconnaître l'écriture. Cela se comprenait. Madame Walhberk le
comprenait même parfaitement bien. Une personne n'était pas en
train de torpiller son couple. Non ! Une personne était en train de
lui ouvrir les yeux, elle qui pensait avoir une confiance aveugle en
son époux. Jamais elle n'aurait pu soupçonner cela. Mais les
preuves étaient pourtant ici, devant elle.
Quand Walhberk mâle entra chez
lui ce soir là, il eut droit à la plus monstrueuse scène de ménage
à laquelle il ait jamais eu à faire face depuis son mariage. Il
avait beau dire que cette femme, Melle Lasseter, était la fille de
son meilleur ami, qu'il la considérait presque comme sa fille, ce
qui pouvait expliquer les petits gestes amicaux dont il faisait
preuve sur les photos, il sut que cette fois il ne s'en relèverait
pas. Sa femme était très rancunière et surtout très, voire
trop, entière. Il le savait. Il était dans une impasse. La seule
solution était de présenter Melle Lasseter à Madame Walhberk. Mais
la demoiselle était partie en voyage d'affaire de trois mois à
l'étranger, il lui était impossible de la joindre. Et même si cela
lui avait été permis, il eut encore fallu que Madame Walhberk
accepta de lui laisser le bénéfice du doute.
Dans la mesure où il passait
plus de temps à son bureau que dans sa chambre à coucher, les
choses ne pouvaient pas s'arranger comme cela.
Quand Walhberk traversa son
bureau de Gladys, elle vit dans son regard et sa démarche qu'elle
avait fait mouche. Elle fit celle qui n'avait rien vu. Elle fit comme
si tout était normal. Mais intérieurement, elle jubilait. Pas une
seconde elle pensa qu'elle avait pu faire quelque chose de mal. Elle
ne pensa même pas s'être engagée dans un chemin immoral. Elle s'en
foutait complètement en réalité de ce qu'elle avait entrepris.
Elle allait continuer et mettre son plan à exécution, point par
point. Elle abattrait ses cartes une à une pour rafler la mise. Elle
avait également décidé de rester attentive à la moindre occasion
qui pouvait se présenter. Elle ne laisserait rien passer.
Elle attendit quelques minutes
et sortit quelques dossiers « brûlants » de son tiroir.
Elle les avait triés sur le volet et devait les faire passer avant
les autres qui, pour elle, représentaient de la broutille. Elle
avait entre les mains des choses urgentes que Walhberk ne devait pas
laisser passer au risque de perdre énormément d'argent. Vu l'état
dans lequel il était, elle avait une petite chance de le voir faire
une connerie monumentale. Et s'il désirait prendre du temps pour
réfléchir, elle l'appellerait tous les jours si ce n'est deux fois
par jour pour lui rappeler que le client était pressé. Elle lui
mettrait la pression en plus de ce qu'elle escomptait lui mettre sur
le dos dans quelques temps.
Walhberk regardait par la
fenêtre, les mains dans le dos. Gladys déposa les dossiers sur son
bureau et l'en avertit. Elle n'eut droit qu'à un grognement en guise
de réponse. Elle sourit légèrement puisque Walhberk lui tournait
le dos et sortit. Elle espérait bien que ces dossiers ne seraient
pas consultés durant la matinée. Elle était presque sûre que les
clients allaient appeler.
En attendant les appels des
clients désireux d'avoir une réponse de Walhberk, si possible
favorable, Gladys mit au point la seconde phase de son plan. Elle
prit une commande urgente de la part du service de maintenance et
l'amena à Walhberk. Elle en profita pour constater que la pile de
dossiers qu'elle avait déposés une heure avant n'avait pas bougé
d'un iota.
« Parfait ! », se
dit-elle. Plus le temps passe, plus je t'enfonce.
Mais rien n'était joué encore
et puis elle ne mettait pas tous ses espoirs dans ces dossiers. Pour
elle, il ne s'agissait que d'un bonus.
Elle remit le bon de commande à
Walhberk en précisant bien qu'il s'agissait d'une commande express
pour l’un des plus gros clients de la firme. Une fois de plus, elle
n'eut pour toute réponse qu'un grognement, un peu plus appuyé que
le précédent tout de même.
Satisfaite, Gladys repartit.
Ce ne fut qu'une heure après
qu'elle reçut l'aval de son patron en ce qui concernait la commande
et le retour d'un seul dossier sur quatre concernant les gros
clients. Elle attendit sa pause de midi pour quitter son bureau en
direction du service du courrier interne. Elle avait imaginé tout un
plan pour que la personne en charge de la réception du bon puisse
s'absenter le temps qu'il fallait pour faire disparaître le dit bon.
Toute cette anticipation se révéla superflue et reléguée au rang
d'exercice cérébral parce qu'au moment où la secrétaire validait
le bon, elle devait rendre compte d'une livraison. Elle demanda à
Gladys si cela ne la dérangeait pas de garder le bureau durant
quelques minutes. Trop ravie de voir que tout se déroulait mieux que
prévu, Gladys accepta. Elle profita du temps qui lui était imparti
pour retrouver le bon et le détruire grâce à la broyeuse. La
chance joua encore pour elle puisque le coursier vint récupérer les
bacs de courrier avant que la secrétaire ne revienne. Gladys fut
ravie d'une chance pareille.
L'après midi fut des plus
pénibles. Du moins pour Walhberk. Comme elle l'avait prévu, les
dossiers en attente faisaient l'objet de maints appels téléphoniques
des clients qui commençaient à s'impatienter. Gladys en rajoutait
une couche en disant qu'elle ne pouvait pas déranger Monsieur
Walhberk pour le moment. Quand ces clients apprenaient qu'il n'était
pas en réunion, ce qui pouvait justifier une non réponse, mais
qu'il n'allait pas très bien moralement, leur colère était
décuplée. Ils estimaient que ce genre de chose ne devait pas
interférer dans les relations professionnelles de ce niveau. Gladys
le savait pertinemment. Et bien que Walhberk ne lui ait jamais rien
dit à ce sujet, elle continua à dire qu'il ne voulait recevoir
aucun coup de téléphone.
Entre deux crises hystériques
de clients mécontents, un fax parvint à Gladys expliquant que la
commande express passée le matin même n'était toujours pas
validée.
« Je ne comprends pas, je
l'ai amenée ce matin en main propre à la secrétaire du courrier
interne et je l'ai vu tamponner le bon. Vous devriez l'avoir reçu. »
Elle se força à ne pas mettre
trop de sarcasme dans sa voix. Il ne fallait qu'elle se trahisse.
Elle précisa qu'elle avait un double de cette commande et qu'elle
l'avait justement sous les yeux. Preuve, qu'elle était bien arrivée
au bureau de Monsieur Walhberk et qu'elle était bien signée. Son
correspondant ne comprenait pas trop ce qui s'était passé. Il était
en outre sûr d'une chose : si cette commande prenait du retard,
lui-même allait en prendre pour une semaine au mieux. Ce qui
signifiait que le client casserait le contrat pour des délais non
respectés. Et Gladys n'avait pas fait disparaître n'importe quel
bout de papier. Elle savait parfaitement de quel client il
s'agissait. Il représentait actuellement un bon tiers des revenus de
la société, ni plus, ni moins.
Gladys en fit part immédiatement
à Walhberk. Il ne se mit pas en colère. Il était plutôt effrayé,
perdu. D'ordinaire, il lui aurait gueulé dessus pour ensuite prendre
les choses en main et faire en sorte que tout s'arrange dans l'heure.
Cette fois-ci, il prit son téléphone et appela le chef d'atelier.
L'ennui était qu'à cette heure tardive, plus personne ne pouvait
passer de commande. Comme on était vendredi, il fallait attendre
lundi pour pouvoir relancer le bon. Mais il était déjà trop tard
pour envisager cette solution. Le client et un tiers des revenus
étaient partis en fumée.
Gladys en fut ravie. Mais elle
ne relâchait pas pour autant sa vigilance et son plan tenait
toujours. Deux clients devraient sûrement annuler une commande
puisque Walhberk n'avait pas renvoyé les dossiers. Déjà qu'il en
avait fait traîner le traitement, comme il le faisait à chaque
fois. Il disait que c’était pour faire gamberger le client.
L'impatience laissait ensuite la place au soulagement. D'autre part,
cela lui permettait de le bloquer afin qu'il évite d'aller voir
ailleurs, durant un certain temps du moins. Walhberk savait
reconnaître les plans qui valaient le coup dès le premier coup
d'œil, dès la présentation par le demandeur. Sa méthode
s'appliquait cependant pour chaque cas étudié. Mais en sortant de
réunion, il était capable de dire qui passait à la trappe et qui
était rescapé. Gladys l'avait soupçonné de se délecter de ce
machiavélisme. Puis un jour, elle en fut sûre.
Toujours est-il que ce samedi
après midi, deux clients, comme prévu par la petite secrétaire,
annulèrent leur commande. Walhberk tenta bien de leur expliquer que
sa situation personnelle l'avait retardé dans son travail mais rien
n'y fit. Les deux clients mécontents allèrent tous les deux dans le
même sens en lui disant que ce n'était pas leur problème.
Le troisième, daigna accorder
un sursis au patron qui commençait à descendre en chute libre.
Gladys réitéra la manœuvre
plusieurs fois dans le mois. Entre temps, on avait décidé que la
secrétaire du service de courrier interne était responsable de la
perte d'un bon de commande qui avait fait partir un énorme client et
avec lui, un tiers de futurs revenus alléchants, sans parler
d'éventuelles commandes supplémentaires.
Walhberk, n'ayant pas trop
réfléchi, sûr d’avoir raison en tant que patron, décida de la
renvoyer sur le champ, pour faute grave et donc, sans indemnité. Ce
qui rendit Gladys encore plus satisfaite.
La première chose qu'elle fit,
après avoir rédigé la lettre de licenciement comme il se devait,
avait été de rendre visite à cette secrétaire, pour lui témoigner
(de) sa sympathie. Cependant, elle savait que cette femme n'était
pas du genre à se laisser faire sans réagir. Elle l'avait vu un
jour refuser un paquet qui n'avait pas été annoncé à l'avance.
Comme dans le doute on devait s'abstenir, elle a tenu tête au
livreur pendant un bon quart d'heure et celui-ci était reparti avec
son paquet en râlant tout ce qu'il savait.
Gladys avait envisagé le fait
que cette femme n'allait pas en rester là. Du moins, elle l'avait
espéré. Et elle fut des plus contentes d'apprendre qu'elle allait
faire passer cela au tribunal, qu'elle avait déjà pris des
contacts. Et quand le syndicat pour la défense des travailleurs
allait au tribunal, on pouvait être sûr qu'il en sortait vainqueur
neuf fois sur dix. Gladys la soutint en lui précisant qu'elle
pouvait témoigner qu’elle l’avait vu tamponner le bon et le
mettre en haut de pile dans le bac des courriers urgents.
Toutes les procédures
prendraient du temps tout de même. Plus qu'il n'en fallait à Gladys
pour continuer ses manipulations.
La secrétaire continuait ses
magouilles, toujours prudente pour ne pas se faire repérer. Elle
veillait aussi à ce que le moral de Walhberk ne se refasse pas trop
vite. Il avait pu rencontrer des partenaires féminines à plusieurs
reprises et la tension avec Madame Walhberk devenait de plus en plus
invivable. Gladys avait appris qu'ils faisaient désormais chambre à
part.
Et la santé de l'entreprise se
faisait plus mauvaise au fil du temps. Clients mécontents des
retards dans les délais. Walhberk n'arrivait plus à suivre son
instinct de requin durant les réunions de présentation de projets,
ce qui lui valut quelques beaux échecs.
Bizarrement, Walhberk semblait
jouer de malchance. Il s'était fait embarquer sa voiture par la
fourrière un jour, ce qui le mit en retard pour un rendez-vous avec
un client. Ce dernier, peu enclin à se faire passer pour un
imbécile, repartit avec ces projets et contrats sous le bras. Il
fallait souligner que Walhberk avait toujours un ennui qui le mettait
systématiquement en retard pour une heure au minimum.
Une autre fois, des délinquants
lui avaient volé sa voiture. Mais Gladys n'y était pour rien cette
fois là. Les jeunes, au nombre de quatre, avaient fait les fous avec
la BM du vieux et avaient fini par y mettre le feu au beau milieu
d'un terrain vague. Comme Gladys devait s'occuper de la déclaration
à l'assurance, elle prit soin de mettre la lettre au courrier au
delà des quarante-huit heures réglementaires pour la déclaration
du sinistre. Tout en précisant à chaque fois qu'il le lui
demandait, c'est à dire tous les jours, que la lettre était bien
partie. Et Walhberk de partir dans des procédures interminables qui
le rendaient plus fou que jamais.
Perdant de plus en plus pied,
Walhberk convoqua Gladys dans son bureau, un mercredi après midi. Ce
qu'elle entendit la laissa sans voix.
« Je voudrais que vous
m'expliquiez ce que je peux faire pour faire comprendre à ma femme
qu'il n'y a jamais rien eu entre moi et une autre femme », lui
dit-il.
Gladys jugea qu'il avait encore
des efforts à faire côté tact.
« Je ne sais pas, que se
passe-t-il entre vous et elle ? demanda-t-elle, juste pour la forme.
- Répondez simplement à la
question Gladys. »
Elle n'en crut pas ses oreilles,
jamais il ne l'avait appelée par son prénom. Il s'adressait la
plupart du temps directement à elle ou alors l'appelait par son nom.
« Si je n'ai pas un
minimum de renseignements, je ne pourrai rien vous dire. Il me
faudrait savoir ce qui se passe exactement et comment se comporte
votre femme en général...
- Quelqu'un lui a envoyé des
photos où l'on me voit en compagnie de jeunes femmes. Ce ne sont que
des clientes ou des clientes potentielles. Mais ma femme pense que je
la trompe. Et en plus de ça, elle est très excessive. Il est
difficile de lui faire entendre raison quand elle a décidé quelque
chose, on a beau lui prouver qu'elle a tort, elle reste campée sur
ses positions. »
Gladys se força à retenir un
sourire, aussi léger soit-il.
« Effectivement, dans ce
cas, cela peut ne pas être évident de lui ouvrir les yeux. Vous
avez essayé de l'inviter à un dîner, en tête à tête ? »
Walhberk regarda sa secrétaire.
Gladys ne vit pas grand chose dans ses yeux. En tout cas, elle n'y
vit pas la médisance habituelle. Elle y vit de la fatigue morale par
contre. Elle comprit que l’accueil. à la maison le soir devait
être des plus caustiques.
« J'ai déjà tenté de
l'apaiser oui. Mais rien à faire, elle reste sur ses positions.
- Je ne sais pas quoi vous dire
d'autre, Monsieur. Si elle est si radicale, je vous conseille
d'attendre un peu que tout cela se tasse. Elle comprendra peut-être
d'elle-même. »
Elle n'avait surtout pas envie
de lui venir en aide.
Il la remercia d'un signe de
tête et avant qu'elle n'ait franchi la porte, alors qu'il s'était
levé pour admirer le paysage par sa fenêtre, il ajouta :
« Gladys. J'ai confiance
en vous. »
C'était la cerise sur le
gâteau.
Gladys entendait encore ces
quelques mots résonner dans sa tête. « J'ai confiance en
vous ». Pour elle, c'était inespéré. Elle n'avait jamais
imaginé qu'elle pourrait à ce point être aussi proche de son pire
ennemi. Elle comprit qu'elle pouvait passer à la vitesse supérieure
et profiter de cette confiance qu'il lui accordait. Elle doubla les
coups fourrés tout en continuant de se protéger bien entendu.
L'ancienne secrétaire du
service de courrier interne avait porté son licenciement en justice
et Gladys aidait son patron à monter le dossier. Quelques feuillets
disparaissaient de ci de là, sans qu'il ne se rendit compte de quoi
que se fût. Et comme c'était à lui de s'en charger personnellement
et vu la confiance qu'il accordait à sa secrétaire, il ne pouvait
s'en prendre qu'à lui-même.
Un jour, il avoua à Gladys
qu'il avait toujours eu cette confiance mais qu'il n'en avait jamais
parlé. Il était irascible la plupart du temps parce que les choses
n'allait pas assez vite mais il respectait ses collaborateurs. Elle
la première.
Gladys écoutait sans vraiment
faire attention à ce qu'il disait. Elle était surtout occupée à
repérer les feuilles qui allaient faire un tour au pays des
disparues quand il aurait le dos tourné. Et quoi qu'il en soit, ce
n'étaient pas ses confessions soudaines qui allaient effacer ces
années de diffamation. Elle était résolue à aller jusqu'au bout.
Gladys l'escamoteuse. C'était
comme cela qu'on la surnommerait dans un film de gangsters ou de
mafiosi. Parce qu'elle avait l'art, le talent de faire disparaître
les papiers les plus importants. Son plus gros coup, celui dont elle
était le plus fière, était la mystérieuse disparition des
déclarations de charges annuelles. Le papier parti n'était jamais
arrivé à destination. Résultat, une assignation pour une
vérification en règle de tous les comptes. Ce qui joua encore en
faveur de Gladys puisque l'on s'aperçut que quelques employés mal
intentionnés se servaient dans la caisse d'une manière ou d'une
autre. Cela avait pour effet de l'éloigner de tout soupçon même si
elle était sûre d'avoir pris toutes les précautions qui
s'imposaient.
Walhberk eut droit à son
redressement. Avec la taille de son entreprise, tout le monde se jeta
dans la mêlée. Le fisc envoya deux inspecteurs pour vérifier les
chiffres. Le patron perdit la tête. Gladys dit qu'il avait pété un
plomb. Il s'en prit directement à l'un des inspecteurs qu'il envoya
à l'infirmerie.
Walhberk eut droit à son
passage devant le juge pour coups et blessures.
Et ce qui devait arriver,
arriva. Les commandes qui ne furent pas annulées restèrent
bloquées, tous les dossiers furent mis sous scellés pour des
vérifications plus poussées. Gladys fut licenciée, comme tous les
autres employés de l'entreprise qui allait être rachetée par des
japonais.
Avant qu'elle ne parte, Walhberk
demanda à Gladys de venir dans son bureau.
« Je vous remercie pour
tout ce que vous avez fait Gladys », dit Walhberk, les yeux
mouillés.
Gladys sourit.
Elle s'avança vers son patron
et enleva deux ou trois poussières sur son costume.
« Ce n'est rien voyons,
dit-elle. La prochaine fois, vous y réfléchirez à deux fois avant
d'emmerder la petite secrétaire et de la traiter comme une moins que
rien. »
Walhberk semblait ne pas tout
comprendre mais au fur et à mesure que Gladys se dirigeait vers la
sortie, la lumière se fit.
Il avait tout perdu parce que
Gladys avait pété les plombs.
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