dimanche 16 octobre 2016

La traque

Cela faisait maintenant près d’un an qu’Edouard était dans son appartement. Enfin, appartement était un bien grand mot. Il appelait cela plutôt un débarras. Une pièce qui lui servait à la fois de mini salon, de cuisine et de chambre, un petit couloir. Et une salle de bain si petite qu’il mettait tout par terre, shampoing, gel douche, savon, gants, serviettes, rien qu’en se tournant. Cependant, il avait encore des cartons qui traînaient, empilés contre un mur. Edouard ne savait même plus ce qui pouvait se trouver dans la plupart d’entre eux. Un carton renfermait peut-être quelques sous-vêtements qu’il pensait avoir perdus. Il se demandait même si l’un d’eux ne cachait pas un trésor dont il ignorait l’existence. Il se demandait surtout comment il faisait pour se retrouver dans tout ce capharnaüm.
Cependant, ce matin, il se contrefoutait complètement du bordel qui pouvait régner dans son débarras. Il avait une envie pressante qui le tirait de son sommeil deux bonnes heures au moins avant que son réveil ne se mette à brailler. Il détestait se réveiller et voir qu’il lui restait peu de temps à dormir. Il préférait se réveiller et voir qu’il n’était qu’une heure du matin. Ça lui laissait plus de temps pour replonger dans ses rêves. Mais là, deux heures. Elles allaient passer très vite. Trop vite. Et sa station de radio allait encore lui cracher un tube qu’il détestait et qui allait l’accompagner tout au long de sa journée d’étudiant. Une chose de plus qu’il détestait : écouter un mauvais tube au réveil et le garder en tête la journée entière.
Quand il comprit que sa vessie n’en avait rien à cirer de ses draps, il décida de se lever et de se rendre dans les toilettes, qui se trouvaient justement dans la salle de bain. Il se rendit au goguenot à moitié endormi, d'avantage guidé par une sorte de radar que par sa conscience même.
Toujours à moitié endormi, il vida sa vessie. Il se demanda un moment s’il avait bien relevé le couvercle et la lunette de la cuvette. Il pensa alors que s’il ne l’avait pas fait, il allait retrouver de la pisse un peu partout. Et ça, ça le rendait malade de savoir qu’il aurait encore du ménage à faire. S’il laissait le liquide par terre, il allait faisander durant le temps qu’il lui restait à dormir et l’odeur serait terrible à son réveil. Ajoutant à cela un mauvais tube dans la tronche, il ne voyait pas sa journée commencer sur de très bonnes bases. Il se força à ouvrir les yeux pour se rendre compte que et le couvercle et la lunette étaient relevés. En plus, il visait bien et ça faisait du bruit. Il n’avait pas réagi à cela quand il se demandait s’il n’aurait pas à faire le ménage à quatre heures du matin.
Il retourna dans sa chambre, toujours aussi bien dirigé par son radar. Un radar qui le força à regarder sur son bureau. Il avait posé un compte rendu qu’il devait rendre le matin même à l’un de ses professeurs. Il en avait bavé pour le faire. Il en avait passé des heures à la bibliothèque ou devant son ordinateur pour trouver tous les renseignements dont il avait besoin. Il se souvenait du titre qu’il lui avait donné. Par contre, il n’avait pas souvenance que ce titre s’étalait ainsi, comme un grande tâche noire sur la couverture du compte rendu. Il s’approcha de son bureau pour voir un peu mieux. Son radar se débrancha presque aussitôt et son cerveau prit le relais pour analyser la situation en un éclair. Il bondit en arrière et se retrouva planté au milieu de sa chambre, bien éveillé et complètement paralysé. Sur son compte rendu, se trouvait une araignée, toutes pattes déployées, s’étendant de tout son long.
Elle n’avait pas bougé. Elle n’avait pas esquissé un seul geste.
Peut-être est-elle morte, se dit Edouard.
Pauvre crétin ! lui répliqua une petite voix dans sa tête. Si elle était morte, elle serait sur le dos, les pattes refermées sur son abdomen !
L’abdomen justement. Il était énorme, rond et semblait s’élever vers le plafond. Qu’est-ce qu’il y avait là dedans pour qu’il soit si gros ?
Outre cet abdomen proéminent, Edouard comprit qu’il ne pourrait pas l’écraser. Et ce pour deux raisons. La première était qu’il ne pouvait pas rendre un compte rendu éclaboussé par du jus d’araignée. La seconde était que la bestiole avait dépassé la norme de taille que Edouard se fixait pour écraser ce genre de saloperies. Il ne fallait pas qu’elle dépasse la taille d’un ongle de pouce. Or, elle en était à plus de trois ou quatre fois cette taille. Donc impossible pour Edouard de tenter une opération de pulvérisation, d'anéantissement total comme il le faisait à chaque fois qu'il le pouvait. En plus, actuellement, il était dans l'incapacité de bouger. Complètement paralysé. La vue même de l'araignée le révulsait mais il continuait de la fixer. Il se souvint qu'un jour, alors qu'il cherchait un mot sur le dictionnaire – ça lui arrivait – il était tombé sur la photo d'une araignée. Elle devait être très importante pour qu'elle ait droit à un article dans le dictionnaire et une photo pour l'illustrer. Toujours est-il qu'il avait lâché le livre de trois tonnes, au risque de se bousiller un orteil, voire un pied.
Il avait peur qu'elle ne bouge et qu'elle ne se barre on ne sait où entre les cartons. Pour lui, il était hors de question de rester dans une pièce, en colocation avec un spécimen de la famille des arachnides. Cette phobie le rendait malade, le tétanisait. Il ne pouvait rien faire. Lui qui, d'ordinaire, pouvait réfléchir et prendre des décisions rapidement, ici, il ne pouvait pas. Son cerveau se focalisait sur une seule et unique chose : l'araignée. Et il s'imaginait tout un tas de choses. Comme perdre le monstre de vue. Cela serait une catastrophe pour lui. Il se retrouverait comme dans un de ces films avec Sigourney Weaver où un monstre assoiffé de sang se cachait dans l'ombre, épiant ses proies pour leur tomber dessus au moment où elles s'y attendaient le moins, sans leur laisser une seule chance de survie. Le pire, il l'imaginait en train de lui sauter dessus.
Triple andouille ! lui lança la petite voix. La seule espèce d'araignée étant capable de sauter doit se trouver quelque part en Amérique Centrale. Le saut en longueur n'est pas de la compétence de cette innocente petite bête.
Edouard se demanda si ce que lui disait cette voix était vrai. Si elle était là plus pour le rassurer que pour lui faire monter la sauce plus vite. Il décida qu'il y avait un peu de l'un et un peu l'autre. L'araignée ne pouvait faire des bonds, c'était une chose inconcevable. Et pourtant ? Les espèces évoluent en fonction de leur environnement. Et si ces araignées avaient été obligées d'apprendre à sauter ?
Nouille ! Tu ne veux pas l'écraser sur ce satané compte rendu, je peux le comprendre mais arrête de délirer et débarrasse-toi de cette bestiole ! Elle ne va pas te bouffer !
Dans ce cas, il avait deux options : le balai ou l'aspirateur. Le balai risquait de faire une tâche immonde sur le compte rendu. Donc l'option de l'aspirateur se trouvait être la plus adéquate. Encore fallait-il l'avoir sous la main. Et ce n'était pas le cas. Il était dans le petit fourre-tout dans le couloir d'entrée. Cela signifiait qu'il devait quitter le monstre des yeux le temps qu'il aille le récupérer. Il n'en aurait pas pour longtemps mais le peu de temps que ça prendrait était déjà suffisant pour qu'elle disparaisse dans un recoin sombre de la chambre. Et ça, il ne pouvait le concevoir.
Il se lança quand même. Tant pis si quand il reviendrait, l’araignée n'était plus à sa place. Il était résolu à ne pas dormir tant qu'elle ne serait pas morte.
Dans le fourre-tout, il se rendit compte avec horreur qu'il y avait vraiment de tout. Il crut l'espace d'un instant qu'il ne trouverait jamais son aspirateur. Pourtant il était assez gros mais son angoisse de ne plus voir l'araignée à sa place à son retour dans la chambre lui faisait perdre la raison. Il pensa même qu'il ne savait pas ce qu'il faisait dans son cagibi à plus de quatre heures du matin. Quand sa main se posa sur ce qui allait devenir son arme exterminatrice, il se rappela ce qu'il cherchait et fut soulagé. Il s'empara de son engin et ne se soucia pas du bruit qu'il fit quand il sortit l'aspirateur en le cognant sur les murs qui jalonnaient son trajet de retour vers la chambre.
Il regarda alors aussitôt vers son bureau, persuadé de ne plus rien trouver sur la couverture de son compte rendu. Il anticipait déjà la chasse qu'il devrait donner dans une telle éventualité. Mais l'araignée était bien là et elle n'avait toujours pas bougé. Edouard se demanda ce qui pouvait se passer dans la tête du « monstre ». Pourquoi n'avait-elle fait aucun mouvement ? Que préparait-elle ? Etait-ce en réalité le général d'une armée, tapie dans l'obscurité, attendant les ordres de son supérieur ? Ordres qui s'avèreraient être l'assaut de l'humain et son anéantissement.
Et si tu branchais ton truc pour la gouler au lieu de dire des conneries ? lui demanda la petite voix.
Elle avait raison, inutile de chercher plus loin. Même si elle n'avait jamais esquissé un mouvement, elle pouvait encore s'échapper alors qu’Edouard l'avait à portée de main. L'angoisse allait bientôt être finie.
Il déroula le cordon électrique de son appareil et s'aperçut que la prise de courant était tout près de l'intruse d'une nuit. Il l’imagina alors en train de sauter sur sa main lorsqu'il l'approcherait de la prise. Elle le mordrait, diffusant un venin quelconque ou des œufs, pourquoi pas, sous sa peau. Dans quelque temps, il aurait une colonie grandissante formant un dôme exubérant sur le haut de la main. Des tas de petites araignées lui gratteraient la chair pour se nourrir. Il allait pourrir de l'intérieur. Qu'il prenne des supers pouvoirs comme Spider man était exclu : cela n'arrivait que dans les films. Dans la réalité, les araignées étaient dévoreuses d'hommes.
Je pense que tu as atteint un sacré degré de débilité mentale là, lui cracha la petite voix.
Son ton était assez ironique. Manifestement, elle se foutait de lui. En attendant, ce n'était pas elle qui allait se battre pour faire disparaître cette chose immonde de sa chambre, afin qu'il puisse dormir encore un peu.
Il brancha sa prise non sans trembler un peu et surtout sans quitter « le monstre » des yeux. Avec les vibrations qu'il produisait pour mettre la prise correctement dans son emplacement, il se dit qu'elle allait enfin bouger mais non. Elle était d'une redoutable patience. Il recula très vite et alluma son aspirateur. Il était à quelques secondes de la victoire. Seule son arme venait rompre le silence de la pièce. Il approcha le tuyau lentement de son bureau. Il prit soin de bien le tenir par la partie en ferraille. Quand il aspirait les arachnides, il ne tenait jamais son aspirateur par la partie en plastique qui joint le tuyau de fer à celui en plastique ; cette partie où se tenait la petite trappe servant à évacuer les cailloux lorsque vous nettoyiez votre voiture. Cette trappe ouverte pouvait permettre à l'araignée de ressortir et de vous grimper dessus. De plus, il la sentirait rebondir tout le long du tuyau et rien que d'y penser, il en était malade. Il serrait les dents et était pris de spasmes de dégoût.
Ce ne fut que lorsque le tuyau se retrouva à quelques centimètres d'elle que l'araignée décida de changer de tactique, optant pour la fuite. En quelques coups de pattes, ou en quelques bonds, Edouard ne put voir de quelle manière, elle se glissa sous le bureau. Edouard se pencha et la suivit avec le tuyau de son aspirateur. Il commençait à vraiment avoir peur. Elle tentait de s'enfuir et pour lui, c’était hors de question. Elle devait rester à portée de vue ; jusqu'à ce qu'il soit sûr qu'elle ait disparu au fin fond du sac à poussière de l'aspirateur. Endroit sombre où elle finirait par étouffer et recroqueviller ses pattes sur son abdomen.
Il lui sembla entendre ce bruit étrange que fait un papier assez petit pour passer dans le tuyau d'un aspirateur. Et il ne vit rien ensuite, ni par terre, ni sous le bureau. Pas une trace. Il laissa tourner son engin quelques secondes. Il faisait toujours cela parce qu'un jour, il avait vu une araignée remonter le long du tuyau. Il avait vu les pattes ressortir en premier afin que le reste du corps puisse être extirpé d'une mort certaine.
Quand il fut sûr qu'elle ne pouvait plus remonter, il arrêta son aspirateur. Il sentit une certaine fierté. Il avait gagné son combat. Il appuya sur le bouton de l'enrouleur de son arme pour ranger le cordon électrique et alla le remettre dans son placard. Ses muscles, rudement mis à contribution ces derniers instants s'étaient détendus. Son esprit aussi. Il était plus tranquille, plus serein. Ses craintes de voir l'araignée disparaître derrière des cartons, sans pour autant savoir où elle se trouvait vraiment, s'envolèrent. Il était bien.
Il rejoignit sa chambre, déjà prêt à s'allonger dans son lit. Ce fut alors qu'il la vit. Elle était encore là, elle traversait très vite l'espace qui séparait son bureau de son lit. Elle disparut sous ce dernier. Elle n'avait donc pas été avalée par l'aspirateur. Le bruit qu'il avait entendu, la légère vibration qu'il avait ressenti quand elle était censée passer dans le tuyau n'avait été qu'une hallucination. Ou alors, il s'agissait d'une autre araignée. Il avait affaire à une invasion.
C'est la même, benêt !
Il n'en été pas certain. Pourtant, il se rappelait de cet abdomen énorme. C'était le même. Aucun doute. Elle n'était pas morte. Il regarda alors ses pieds. Ils étaient nus. Il y avait une bestiole qu'il haïssait qui traînait quelque part sous son lit, peut-être même était-elle partie se cacher ailleurs. Et il était pieds nus. Il ne pourrait jamais se faire violence et l'écraser en raison de la taille exorbitante de l'animal. Il avait de plus en plus peur. Il commençait à avoir des sueurs froides. Il avait raté son coup avec l'aspirateur et maintenant, l'araignée allait se venger. Il avait le sentiment de devenir ou d'être devenu la proie. Elle allait le prendre en chasse, le traquer et finir par le dévorer.
Je crois franchement que tu as fondu un fusible mon vieux !
Il regardait un peu partout autour de son lit. Il surveillait le mur, pour voir si elle n'était pas en train de grimper, de se mettre à découvert. Il ne vit rien. Il chercha une lampe sur son bureau et en profita, avec la plus grande prudence, pour mettre des pantoufles. Il imaginait l'araignée tout près de ses savates, l'épiant patiemment, sachant qu'elle avait désormais un point d'avance et ne voulant pas laisser passer la moindre occasion. Elle allait se jeter sur lui et planter ses crocs dans sa chair, juste pour lui montrer qui était le plus fort des deux. Il allait crever sur sa moquette, le venin se répandant dans ses veines lentement, le paralysant à petit feu.
Il lui fallait une arme. Impossible d'aller récupérer l'aspirateur, ça ne servait à rien, « le monstre » lui avait échappé une fois déjà. Elle recommencerait. C’était intelligent, ces bêtes-là, et ça apprenait vite. Il prit alors une revue et la roula. En temps normal, il n'aurait jamais fait cela. Il avait refusé de s'abonner à ce magazine de cinéma parce qu'il fallait découper la page où se trouvait le bulletin d'inscription. Il en prenait grand soin. Chaque revue devenait un objet de collection une fois lue. Mais là, c’était un cas de force majeure. Il ne pouvait pas faire la fine bouche, il devait faire avec ce qu'il avait sous la main. Bien enroulée sur elle-même, la revue avait la résistance d'un bâton et serait parfaite pour écraser le monstre. Très maniable, elle devenait l'unique moyen de survie de Edouard.
Ce dernier commençait à transpirer à grosses gouttes. Il se démenait et il avait chaud. Il fallait qu'il se calme sinon, il ne parviendrait pas la chasser. Il ne parviendrait qu'à s'énerver encore plus.
Et à complètement péter les soupapes mon vieux !
Edouard décida de couper toute communication avec la petite voix. Elle le stressait plus qu'il ne le fallait. D'autant plus qu'il était déjà à bout de nerfs. Il savait qu'un monstre se tapissait quelque part dans un recoin ténébreux et attendait le bon moment pour lancer l'assaut. Il pensa alors qu'il avait fait une bourde en ne prenant pas soin de vérifier si l'araignée était toujours en vie ou pas après l'offensive à l'aspirateur. Il avait attaqué une bestiole qui jusque là ne bougeait pas et ne lui demandait rien. Il était logique de penser qu'elle allait riposter. Et elle allait mettre toutes les chances de son côté maintenant.
Il l'imaginait derrière des cartons. Elle le fixait de ses yeux noirs et brillants. Elle analysait son comportement. Elle savait par exemple que son cœur battait plus fort que jamais. Elle savait qu'elle avait l'ascendant sur lui dans la mesure où il ne savait pas où la chercher, donc où la trouver.
Edouard vit quelque chose de noir filer sur sa gauche. Il balança sa revue roulée sur elle-même. Il l'imagina en train de se métamorphoser en une balle ou un obus, dans les airs, et frapper son ennemi juré pour le pulvériser. Au lieu de cela, la revue se déplia, les pages ralentirent son envol et elle retomba à plat, comme une bouse, à quelques centimètres seulement d’Edouard. À ce moment-là, il revint à la réalité. Il s'avança pour récupérer son bouquin quelque peu malmené. Et l'araignée sortit de sous le lit pour venir se placer sur la couverture représentant la tête de King Kong, dont ils faisaient un remake actuellement. Elle se tourna ensuite vers Edouard. Il comprit son petit jeu. Elle cherchait à lui enlever tout espace vital. La chambre, d'ordinaire trop petite devenait un terrain de bataille immense. Au moins, il savait où elle était maintenant. Elle était devant lui et attendait. Edouard reculait lentement dans l'espoir de trouver quelque chose d'utile sur son bureau. Il ne la lâchait pas des yeux. Elle ne bougeait pas.
Quand il atteignit le bureau, il ne s'en rendit pas compte tout de suite. Pour lui, cet endroit était trop vaste : une araignée pouvait se planquer dans le moindre recoin. Il sursauta et tourna la tête, comprenant trop tard qu'il avait sûrement fait une nouvelle erreur. L'araignée pouvait en profiter pour se défiler encore une fois. Elle avait juste fait quelques pas en avant. Voyant cela, Edouard paniqua un peu plus. Elle s'était avancée vers lui. Ce qui signifiait qu'elle l'avait vraiment pris comme cible.
Edouard chercha à tâtons tout ce qui pouvait lui servir de projectiles. Il tomba sur le pot où il mettait ses crayons et stylos. Il le prit et lança le tout vers sa revue. Il ne voyait pas vraiment l'araignée ; vu que la couverture était noire, elle se camouflait parfaitement. Il ne la vit que lorsqu'elle bougea pour s'échapper dans la direction opposée. Il balança tout ce qui lui tombait sous la main. Il balança sans rien regarder, sans même viser. Il la suivait du regard, elle s'approchait du tas de cartons mais il ne visait pas pour autant. Un moment, il prit même la chaise posée devant le bureau pour lui faire faire un vol d'essai. Elle atterrit dans un fracas incroyable sur ce qui lui servait de cuisinière, c'est-à-dire, une plaque reliée à une petite bonbonne de gaz. Cette dernière vacilla et tomba au sol.
En attendant, l'araignée était passée derrière les cartons. Edouard scruta son bureau pour voir ce qui pouvait lui rester comme arme. Il découvrit un déodorant vaporisateur et un briquet. Il ne savait pas pourquoi il avait ce briquet : il ne fumait pas. Il prit les deux objets avec l'intention de faire comme dans certains films ou dans cette série avec ce gars ingénieux qui fabriquait des minis bombes avec de l'engrais. Il ne se soucia pas le moins du monde du fait que ses cartons pouvaient prendre feu. Mais il devait absolument se débarrasser de cette bestiole ! Pas question de rentrer le soir en sachant qu'il y avait une araignée vivante en ces murs. Il ne pourrait pas passer la nuit tranquille en sachant cela.
Il se précipita sur ses cartons et commença à les faire tomber au milieu de la pièce. Il ne pensa même pas qu'il pouvait éjecter l'araignée ailleurs dans sa chambre. C'était la rage qui l'animait à ce moment-là. Quand il se rendit compte de ce qu'il faisait, il stoppa net. Il voulut regarder autour de lui, sentant qu'elle devait être en train de se jeter sur lui. Du coin de l’œil, il la vit proche d'un carton. Il prit son briquet, l’alluma, et présenta le spray à la flamme. Il s'attendait à voir la flamme grandir pour aller cramer cette saloperie d'araignée. Au lieu de ça, il entendit à peine une déflagration. Il sentit quelque chose lui arracher tout le côté droit, sous les bras, les côtes, les reins. Il eut l'impression qu'on lui arrachait la peau. Néanmoins, cette impression fut fugitive. Tout devint noir, il n'entendit plus rien.

Quand les pompiers eurent fini de maîtriser le feu, ils purent retirer le cadavre d’Edouard des décombres. Il était déjà bien consumé et fumait encore quand ils le mirent dans un grand sac noir. Ils purent commencer à tirer des conclusions avec les témoignages de certaines personnes. Ils ne savaient pourtant pas ce que trafiquait le jeune avant que tout ne saute mais il semblait qu'une bonbonne de gaz soit à l'origine de la déflagration. Ils apprirent qu’Edouard n'avait plus d'odorat, ce qui expliquerait qu'il n'ait pu sentir le gaz s'échapper. Mais ils ne comprirent pas grand-chose d'autre. L'autopsie et l'enquête des experts leur en diraient plus certainement.
Ils ne virent pas non plus qu'une petit araignée, sortie du tas de cendres, se frayait un chemin parmi le va-et-vient des pompiers et les décombres. Elle cherchait un endroit où se cacher de la folie des hommes, un endroit où elle serait en sécurité.

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