samedi 15 octobre 2016

Deep throat

La voiture était toujours garée sur le trottoir d’en face. Elle n’avait pas bougé.
Il l’avait repérée il y avait maintenant près d’une demi-heure.
Un véhicule noir, aux vitres teintées pour pas que l’on puisse reconnaître qui que ce soit à l’intérieur.
Le gouvernement est donc si peu discret ? se dit-il. À moins que ce soit pour m’intimider ? Ils veulent que je sache qu’ils sont là.
Le harcèlement psychologique était effectivement une des méthodes utilisées pour pousser les gens dans leurs derniers retranchements ; à savoir, le suicide. C’était une manière efficace de se débarrasser des gêneurs sans se salir les mains.
Mais il ne voulait pas en arriver là ; il ne leur ferait pas ce plaisir. Il avait une mission à accomplir et il irait jusqu’au bout.

Kuclang !

La petite sonnerie caractéristique de l’arrivée d’un mail avait retenti quelques secondes après qu’il se soit dit que quelqu’un allait justement lui écrire. Il se demandait toujours comment ces intuitions étaient à chaque fois fondées. Comment faisait-il pour savoir, pour deviner, que quelque chose allait se produire ?
Il regarda encore quelques instants la voiture noire à travers les persiennes tirées : bon moyen de voir sans être vu.
Il revint ensuite à son bureau. Un pc portable, une bouteille d’eau, un automatique et un chargeur posé à côté. C’était tout ce dont il avait besoin.
Une petite icône clignotait sur son écran. Un mail était bien arrivé et attendait qu’il l’ouvre. Il cliqua sur la petite icône et une page s’ouvrit.

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:20
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Désolé pour ce retard mon ami.
Vous disiez avoir du nouveau à me communiquer ! Je suis impatient de savoir !
Est-ce ce que l’on espère depuis tant de temps ?

Il aurait aimé envoyer de meilleures nouvelles en fait. Oui, il attendait lui aussi une révélation capitale mais ce n’était pas de cela qu’il allait parler dans sa réponse.

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:23
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

Malheureusement, je ne viens pas vous confirmer ce que nous attendons.
Je viens vous signaler qu’une étrange voiture noire attend en bas de mon
immeuble, en face. Je ne sais pas qui est à l’intérieur. Je n’ai vu personne en
descendre encore. Je pense qu’ils m’ont repéré. J’ai même peur que notre
correspondance soit surveillée.

Il appuya ensuite sur le bouton qui sert à envoyer le mail. Il craignait que sa ligne soit sous surveillance mais au point où il en était…
Il retourna à la fenêtre et jeta un œil à travers ses persiennes. La voiture était toujours là.
Qui était-ce ? Est-ce qu’elle était vraiment là pour lui ? Etait-il toujours en sécurité ?
Depuis quelques mois maintenant, il avait pris pour habitude de changer d’endroit tous les 15 jours environ. Il avait quasiment traversé tout le pays.
Il ne réglait ses achats ou sa chambre d’hôtel qu’en espèces. Il était parti de chez lui, laissant femme et enfants, avec le peu d’économies qui lui restait. Il avait de quoi tenir encore un bon petit mois en s’en tenant au strict nécessaire ; à savoir : une chambre d’hôtel abordable, de quoi se nourrir (exclusivement de sandwich qui lui faisait parfois deux repas) et une ligne Internet.
Il avait des vêtements de rechange uniquement quand il se déplaçait vers une nouvelle planque. Et à chaque fois, il changeait d’apparence également. Fausse moustache, faux cheveux, fausses lunettes… Il avait même réussi à se faire passer avec brio pour un aveugle !
Quand il changeait de vêtements, il lavait les anciens immédiatement pour qu’ils soient prêts pour le voyage suivant. Jusqu’à présent, il n’avait jamais eu à partir en catastrophe et priait souvent pour que cela n’arrive pas.
Ce n’était peut-être qu’un détail pour certains mais pour lui, c’était primordial de ne pas traîner des fringues puant le phoque derrière lui : rien de telle qu’une mauvaise odeur pour qu’on se tourne vers vous. Il devait éviter de se faire remarquer d’une quelconque façon que se soit.
Il ne commandait donc jamais de pizza ou de plat prêt à livrer. Il se déplaçait tout le temps. Sandwicherie de gare, Snake, Kebab, Fast food, c’étaient des endroits parfaits pour trouver de la bouffe à moindre coût sans se faire remarquer. D’autant que dans la plupart de ces restaurants, on pouvait emporter son repas sous le bras.

Kuclang !

Il revint à l’ordinateur pour ouvrir le nouveau mail qui était arrivé.

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:35
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Aucun risque que l’on trouve. Le logiciel que je vous ai fait parvenir est un
bidouillage de celui utilisé par les services secrets pour communiquer entre les
agences. Le brouillage est si complexe que même ses propres services secrets
seraient incapables de le décoder. Aucune crainte que l’on vous trouve !
Avez-vous eu des nouvelles ?

Malgré cela, il n’était pas rassuré. Il avait une confiance limitée en ces nouvelles technologies. Puisqu’elles avaient été créées par l’homme, ce dernier était capable de les contrôler dans le moindre détail.
Avant de répondre, il alla jeter un œil par ses persiennes.
Le décor n’avait pas changé. La voiture était toujours là.

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:38
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

Non, aucune nouvelle pour le moment. Le paquet devrait me parvenir dans la
journée mais je n’ai aucune idée de l’heure exacte. Mon contact tient à tout faire
au dernier moment, y compris de décider de la rencontre. Je sais juste que ça
aura lieu aujourd’hui et dans ma chambre d’hôtel. C’était la seule condition que
je lui ai imposée et il a bien voulu l’accepter.
Je me demande d’ailleurs si cette voiture en face de chez moi n’est pas là pour
repérer les lieux afin que mon contact sache dans quoi il met les pieds…

Il eut juste le temps de se lever pour constater pour la énième fois que la voiture était bien garée en face de chez lui. Une peur insondable naissait au creux de son estomac.

Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:39
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

N’ayez crainte mon ami ! S’ils savaient où vous êtes, il y a longtemps qu’ils
vous seraient tombés dessus.

Ce n’était pas faux. Mais que faisait-il de ce harcèlement psychologique ? Et si le gouvernement ne voulait pas se contenter de lui seul ? S’il voulait aussi alpaguer ses contacts ?
Deep Throat était peut-être en danger lui aussi ! Mais comment en être sûr ?
Il alla encore une fois à la fenêtre. C’était devenu machinal. Il n’était pas tranquille s’il n’allait pas jeter un œil à travers les persiennes.
Seulement cette fois-ci, les choses changèrent. Si bien qu’il ne réagit pas tout de suite à ce qu’il voyait.
Deux hommes en costume noir sortaient du restaurant italien sur le trottoir d’en face. Ils montèrent dans la voiture, démarrèrent et s’en allèrent en faisant crisser les pneus.
Se fut un immense soulagement. Même démasqués, des agents secrets seraient repartis tranquillement.

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:46
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

La voiture vient de partir. Et vu comme elle a vidé les lieux, je ne pense pas que
c’étaient des agents secrets ! Je suis soulagé.

Pour le coup, il but un peu d’eau. Il n’aimait pas vraiment boire de cette flotte qu’il tirait directement du robinet. Il avait décidé de faire des économies sur les bouteilles d’eau minérale. Mais l’eau plate était dégueulasse. Il lui était déjà arrivé de passer la nuit sur les chiottes à cause de tout ce qu’elle pouvait contenir comme saloperies !
Un jour, alors qu’elle était chargée d’eau de javel (désinfection et prévention anti-terroriste à ce qu’il paraîtrait), il pensa même qu’il allait entièrement se désinfecter les tripes.
Quand il reposa la bouteille, il eut la soudaine envie de sortir pour appeler chez lui.
Les petites devaient être en train de manger avec leur maman en ce moment.
Il avait bien précisé à Marilyne de ne jamais tenter de le retrouver et de ne jamais chercher à le joindre d’une quelconque manière.
Ça lui avait déchiré le cœur de devoir les laisser seules toutes les trois ; mais il avait longuement réfléchi et avait conclu que ses filles ne devaient pas grandir dans un monde aussi hypocrite et mensonger. Sa mission était alors de tout faire pour qu’éclate la vérité. Le monde devait savoir.

Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 12:48
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Me voilà rassuré aussi, bien que j’étais persuadé qu’il ne pouvait s’agir d’agents
secrets.

C’était son lot quotidien. Depuis qu’il avait entamé cette quête, il vivait continuellement dans la peur. Celle de voir sa vie s’achever sans qu’il ait pu atteindre son but ; celle de voir ses convictions balayées par une preuve irréfutable ; celle de voir qu’il avait tout laissé derrière lui avec pour seul objectif d’améliorer un peu ce monde mais en vain.
Il avait peur d’être suivi, d’être surveillé, d’être épié. Il avait peur qu’on vienne lui dérober tout ce qu’il avait pu amasser comme documents depuis qu’il avait quitté l’armée. Il avait photocopié des centaines de rapports, mis sa vie – et celle des siens – en danger en faisant cela et alors qu’il était près de l’ultime vérité, il sentait que le sol se dérobait sous ses pieds. Il craignait que l’on vienne lui arracher son dernier espoir de voir une vérité éclater, une vérité qui allait changer bien des choses.
Une vérité qui viendrait peut-être tout faire basculer d’ailleurs, au plus profond des fondements de la vie.
Il ne put s’empêcher de regarder encore à travers ses persiennes. La rue était déserte. La chaleur avait fait rentrer chez eux tous ceux qui, d’ordinaire, traînaient.
Il observait souvent ces badauds qui attendaient que le temps passe, se demandant de quoi ils pouvaient bien parler.
Lui, dans sa chambre, il détenait certains secrets que ces gens-là ne soupçonnaient pas. Ils étaient engoncés dans leur vie monotone où la plus grosse affaire d’Etat était une facture d’électricité exorbitante alors qu’autour d’eux, à chaque seconde, se jouait le sort de l’humanité toute entière.
Ils ignoraient tout encore ou s’intéressaient si peu à cette vie, ce simulacre. Ils ne regardaient que des ombres, des fantômes et construisaient leur existence sur des fondements aussi fins qu’une feuille de papier d’aluminium. À aucun instant ils ne soupçonnaient que tout ce qui faisait leur vie n’était que du vent.
Il ressentait une certaine puissance à être le seul à savoir, le seul à connaître cette fragilité existentielle. Rien qu’avec cela, il pouvait faire plier n’importe quel gouvernement. Il pourrait presque devenir un Dieu vivant.
Et à cette idée, il eut un soudain recul ; comme si sa conscience venait de lui mettre une gifle pour qu’il retombe un peu sur terre.
Tu détiens un secret important, c’est indéniable, mais il reste déjà à confirmer et ensuite, tu ne devras pas t’en servir autrement que pour ouvrir les yeux du monde !
Il eut honte de ce désir de puissance.
Bien entendu qu’il avait toujours œuvré pour servir le monde et non ses propres intérêts. Il voulait que la vérité éclate et pas une stèle à sa gloire. Il ne demandait même pas que l’Histoire se souvienne de son nom ! Il voulait juste donner la preuve ultime, celle que tout scientifique cherchait.

Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 13:18
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

J’ai pensé que cela pouvait vous intéresser.

Au mail, il trouva une pièce jointe qu’il ouvrit.
C’était un article de presse scanné qui faisait état de « la mort étrange d’un officier de police ».

« Un policier décédé dans des circonstances étranges.

Thomas Aeillo, officier de police, serait décédé ce matin à l’Hôpital Ste Augustine des suites d’une maladie causée par une infection. Cependant, les médecins sont incapables de donner les causes exactes du décès.
Mr. Aeillo a été admis il y a trois jours pour une forte fièvre et des douleurs lombaires. Il aura fallu quelques jours seulement pour qu’il soit terrassé par une infection généralisée dont on ne peut expliquer la cause”, admet le médecin qui s’est occupé de son cas, le Dr Bartoli.
L’officier Aeillo avait été admis quelques semaines plus tôt pour un furoncle sous l’aisselle gauche qui a été soigné rapidement et efficacement. Il ne semble pas que ce furoncle soit à l’origine de l’infection fulgurante qui a emporté Thomas Aeillo.
Ce qui étonne encore plus le corps médical, c’est que ce n’est pas une infection qui a terrassé l’officier Aeillo mais trois ! Chose qui, actuellement, semble impossible pour les médecins.
Non ! Jamais trois infections ont pu être décelées en même temps dans un organisme.” Confirme le Dr Bartoli. “Et si tel avait été le cas, nous aurions pu en soigner au moins deux.”
À l’heure actuelle, personne ne semble pouvoir donner de réponses claires à cette simple question : qu’est-ce qui a tué l’officier Thomas Aeillo ? »

Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 13:25
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Avez-vous lu cet article ? Cela ne vous rappelle rien ?

Ça lui rappelait quelque chose en effet. Entre les lignes de cet article qui ne parlait que d’une mort étrange, il voyait un événement capital, qui confirmait certaines théories et l’enfonçait encore un peu plus dans ses propres convictions.
Il se rappelait d’une affaire qui avait fait le tour du monde en 1997 et dont personne ne se souvenait plus ou presque, mis à part les acharnés dans son genre ; ceux qui relevaient la moindre trace suspecte ; ceux qui tendaient l’oreille et qui ouvraient les yeux ; ceux qui… lisaient entre les lignes !

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 13:26
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

L’affaire Varginha en 1997.

Il écrivit uniquement cela. Son correspondant connaissait cette histoire sur le bout des doigts, sinon, il ne lui aurait jamais envoyé cet article.
L’affaire avait débuté exactement en avril 1997 alors qu’un appareil non identifié se crashait en bordure de la petite ville brésilienne : Varginha, d’où le nom de cette affaire.
Des extraterrestres occupant le vaisseau avaient été traqués par l’armée brésilienne avant que l’armée américaine ne vienne en renfort. Depuis le crash de Roswell en 1947, il s’agissait là de l’affaire la plus incroyable que le monde ufologique ait connu.
L’un des faits les plus graves de l’affaire Varginha fut la mort camouflée du caporal Mario Eli Chereze des services secrets de la police militaire brésilienne.
Ce dernier avait participé à la traque et à la capture de l’une des créatures qu’il aurait malencontreusement touchée sans ses gants de protection.
L’officier Chereze avait vu un furoncle pousser sous son aisselle ; furoncle qui fut soigné rapidement et efficacement.
26 jours plus tard, il décédait d’une infection généralisée. Infection qui l’emporta en trois jours seulement.
Ces faits ne devaient jamais arriver aux oreilles de la populace. L’armée avait tout fait pour les dissimuler, allant jusqu’à soutenir que l’officier Chereze n’était pas de service la nuit où la chasse aux E.T. avait été ouverte.
En ce qui concernait le cas Aeillo, il semblait que les événements concordaient en tout point. D’abord un furoncle soigné, une infection ou plutôt trois en même temps ! Chose si rare, voire improbable, que même les médecins se retrouvent impuissants face au mal fulgurant qui détruit l’organisme.
Tout portait à croire que d’autres extraterrestres avaient été repérés et traqués sans qu’aucune précaution ne soit prise cette fois-ci. Dans quel but ?
Depuis qu’il enquêtait sur le phénomène E.T., il avait déniché des centaines d’affaires impliquant une menace extraterrestre. Crash, enlèvements, observations, il avait quasiment tout vu, tout entendu. Et là, en l’espace d’un peu plus de dix ans, deux affaires étroitement similaires survenaient !
C’était justement cette similitude qui l’inquiétait. Tous ces points communs ! Cela relevait-il d’une simple coïncidence ?
Il fallait avouer que pour le cas Aeillo, on ne parlait pas de chasse aux extraterrestres. En avait-on besoin ? Non, si on se contentait de la politique de l’autruche en bandant les yeux de la population.
Mais si l’envie réelle de préparer cette même population à l’existence d’une autre forme de vie était bien là, pourquoi cacher un tel événement ?
Il était clair qu’un ou plusieurs petits gris étaient encore de la partie. Il était clair également que l’on ne voulait pas que ça se sache. Le plus important était que lui sache, qu’il ait pu lire entre les lignes.
Si tout se passait comme il en avait la conviction, si ce qu’on devait lui amener était bien ce qu’il espérait, alors la face du monde allait changer. C’était irrémédiable.
Il ne manquait qu’une preuve, une seule, pour que tout bascule ; et il allait l’obtenir. Il était proche désormais. Jamais il n’avait été si près du but. Peut-être même qu’il était le premier à arriver aussi loin depuis près d’un demi-siècle durant lequel toute affaire d’extraterrestres était cachée au grand public.
Il fallait qu’il se reprenne ! Toute cette agitation, cette impatience, lui donnait le tournis et lui faisait imaginer tout et n’importe quoi !
Il n’était pas le seul à avoir entrepris cette croisade désespérée. Bien d’autres avant lui avaient essayé et beaucoup y avaient laissé leur peau. Les quelques survivants qu’il y avait étaient désormais enfermés, à l’abri des regards, complètement coupés du monde, parqués comme des animaux. En d’autres termes, ils n’existaient plus !

Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 14:02
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Le temps passe et je ne tiens plus en place ! Votre informateur joue sur nos
nerfs, là ! J’espère que vous avez confiance en lui…

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 14:03
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

J’ai toute confiance en lui, ne vous inquiétez pas. Ce n’est pas la première fois
que je traite avec lui et jusqu’à présent, je n’ai jamais été déçu. Au contraire, j’ai
toujours eu plus que ce à quoi je m’attendais.

Il comprenait cette impatience. Lui-même sentait que son cerveau allait fondre et lui couler des oreilles tellement il avait hâte. Il avait d’ailleurs commencé à faire les cent pas ; quand il s’asseyait pour répondre à son interlocuteur, sa jambe gauche faisait inconsciemment des bonds rapides, se dressant sur la pointe des pieds. Il savait que quand il en arrivait là, cela signifiait qu’il était prêt à exploser. Mais il savait que ça n’était rien comparé au moment où il recevrait la confirmation de l’arrivée de la preuve ultime.


Kuclang !

De : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 14:08
À : Mr. X (mrx@neoepoch.fr)

Encore faut-il que ce qu’il ait à nous apprendre nous fasse avancer !

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 14:10
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

Il m’a dit, en ces termes, que ce qu’il avait à m’offrir était ce que nous
attendions tous depuis près de 50 ans: une preuve ultime et irréfutable.

Car c’était tout ce qui manquait à ce dossier : une preuve de l’existence d’êtres venus d’ailleurs. Tout au long de ses propres recherches, de ses propres découvertes, il avait compris que dans ce domaine rien n’était acquis, rien n’était facile. Chaque indice devenait une preuve indirecte, toujours infirmée judicieusement par la partie adverse, celle qui refuse tout changement. Chaque hypothèse était boudée, anéantie, tuée dans l’œuf. Le pire dans tout cela était que si l’existence d’êtres extraterrestres n’avait pu être prouvée, la non-existence en était au même point.
De ce capharnaüm, il ne ressortait que des questions sans réponse et de la frustration.
Seuls ceux qui gardaient encore de l’espoir parvenaient à avancer, allant de mirages en mirages, s’accrochant à leurs convictions.
Combien de fois lui-même s’était retrouvé désillusionné, abattu, à genoux, pour se voir repartir le lendemain traquer les signes.


Kuclang !


Quand il revint vers son ordinateur, il croyait lire un message de son correspondant habituel, l’unique personne avec qui il gardait un contact sécurisé. Si bien que quand il ouvrit le mail qu’on lui envoyait, il fut perdu durant quelques secondes, ne sachant pas qui pouvait lui écrire.
Il n’y avait qu’une seule ligne : « Je suis chez vous dans 9 minutes. »
9 minutes. Qui pouvait être aussi précis ? Qui pouvait bien régler son emploi du temps à la seconde près ?
Il sentit son cœur battre fortement dans sa poitrine, se demandant presque pourquoi. Son esprit réagit enfin et il fut soudainement submergé par une vague étrange et puissante qui faillit lui faire perdre connaissance.
Il comprit alors qu’il était à 9 minutes (un peu moins maintenant) de son but ultime ; ce pour quoi il avait laissé toute sa vie derrière lui. Sa quête allait prendre fin et une nouvelle ère allait commencer.
Si jusqu’à présent le temps paraissait long sous cette chaleur accablante, ces 9 minutes là lui parurent une éternité. Il commençait à tourner en rond. Il n’eut même pas l’idée de prévenir le fameux Deep throat.
Il regardait sa montre toutes les minutes. Pour vérifier si elle n’était pas déréglée, il regardait l’heure de son ordinateur. Quand il avait tout contrôlé, il recommençait, imperturbable.
Sa gorge se desséchait mais à aucun moment il n’eut la présence d’esprit de boire un peu d’eau.
Les secondes défilaient lentement, la chaleur était étouffante et il perdait patience, souriant bêtement à l’idée que son destin allait s’accomplir. On ferait de lui un libérateur, à n’en pas douter !
On frappa à la porte. Deux coups sourds et secs.
Il se figea net et jeta un œil à sa montre. Les 9 minutes étaient-elles passées ? Il n’en savait rien.
Il s’avança vers la porte et regarda à travers le judas. Manifestement, la personne de l’autre côté ne tenait pas à ce qu’on l’observe et avait obstrué l’œilleton.
Il déverrouilla la porte et l’entrebâilla lentement.
Un homme élancé vêtu d’un vieux jeans et d’un t-shirt sale attendait sur le pas de la porte. Il portait ce genre de lunettes noires à travers lesquelles on ne pouvait voir les yeux.
– X ? demanda-t-il simplement.
Il ne se laissa pas prier et fit entrer l’inconnu. Il s’était maintes fois demandé à quoi pouvait ressembler cet informateur, celui qui avait la preuve ultime ; car s’il avait déjà travaillé avec lui, jamais il ne l’avait rencontré en personne.
L’inconnu ne parla pas, il se dirigea vers la fenêtre pour regarder à l’extérieur. Puis il inspecta la chambre.
X le laissa faire, sans rien dire pour le rassurer, cela n’aurait servi à rien de toute façon.
Quand l’inconnu eut vérifié qu’il ne risquait rien, il s’avança vers X en sortant une enveloppe kraft de son veston pour la lui tendre.
Il attendit que X ouvre l’enveloppe pour voir ce qu’elle contenait.
C’était une feuille transparente rigide. Le genre de film que l’on met sur les rétroprojecteurs.
Dessus, se dessinaient des capsules dans toutes les nuances de gris qui pouvait exister.
X regarda l’inconnu, quelque peu déçu.
– Une séquence ADN, dit l’inconnu.
– Je sais, je vois. Seulement, je ne sais pas déchiffrer cela ! Qu’est-ce qu’elle a de mieux que n’importe quelle autre séquence ADN ?
– Elle n’est répertoriée nulle part, répondit simplement l’inconnu.
X commençait alors à comprendre. Pourtant, son informateur crut bon de préciser :
– Elle n’appartient à rien de connu sur cette planète. Ce n’est pas un être humain, un animal, un mammifère, une plante, un insecte ou que sais-je encore ! Vous comprenez ?
– Oui, répondit X médusé, comme perdu dans ses pensées.
Il se rendait maintenant compte de ce qu’il tenait dans la main.
– Comment fait-on pour prouver que cette séquence est authentique ? demanda-t-il soudain.
L’inconnu devait attendre cette question. Il plongea à nouveau sa main dans son veston et en sortit une petite fiole qu’il lança à X.
Le petit tube contenait une sorte d’huile noire, très épaisse. X l’examina, la tourna et la retourna. Le liquide ne s’accrochait pas à la paroi du tube : il retombait au fond sans laisser aucune trace.
De l’huile noire ?
Du pétrole ?
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de… pensa X.
Il regarda alors l’inconnu qui acquiesça.
– Vous tenez là le seul échantillon qui existe. Je vous déconseille d’ouvrir le tube, c’est hautement toxique et ça vous tuerait en un rien de temps. Des hommes sont morts pour cette capsule de sang extraterrestre ! Vous trouverez sûrement un scientifique capable d’extraire une séquence de ce sang. Vous aurez alors votre authenticité.
X examina encore une fois le liquide noir à travers le tube. Il ne réalisait pas encore complètement ce qu’il tenait.
C’était donc LA preuve ultime ?
– Le chemin à parcourir est encore long, continua l’inconnu. Faites très attention à vous. Ce tube sème la mort autour de lui, ne vous croyez pas à l’abri !
Sans rien ajouter, il sortit. La porte se referma sur lui. X était toujours hypnotisé par sa petite fiole. Au bout de quelques minutes, il se décida à bouger.

De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 15:16
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

Jamais vous ne devinerez ce que j’ai entre les mains?
Toutes ces années à chercher, à me cacher, à échapper à toute sorte de
groupuscules… Tous mes sacrifices vont enfin payer !
Je l’ai ! J’ai LA preuve ultime ! Il me reste à la faire authentifier et ensuite je
pourrai faire éclater la vérité au grand jour ! Tout le monde saura. Le monde
doit savoir !

Trois coups puissants contre la porte le firent sursauter. Il se retourna brusquement. Sa porte était fermée mais l’avait-il verrouillée ?
– Police ! Ouvrez ! L’immeuble est cerné !
Il se précipita vers sa fenêtre et constata à travers ses persiennes qu’une meute de flics attendait en bas et sur le trottoir d’en face. Il n’avait rien entendu, rien vu, pas même l’éclat des gyrophares.
Il posa alors les yeux sur l’arme posée sur son bureau. À côté, il y avait le petit tube, son Saint Graal.
Le liquide noir qu’il contenait semblait danser.
Il prit son arme et vérifia qu’elle était chargée. S’il était pris, on ne lui donnerait jamais l’opportunité de révéler la vérité.
Il s’empressa de ranger la fiole d’huile noire dans la poche intérieure de sa veste et coinça l’enveloppe avec le cliché ADN dans sa ceinture.
Il s’approcha lentement de la porte et regarda une nouvelle fois par le judas.
Ce n’était pas un bluff. Deux flics patientaient, arme à la main, dans le couloir.
Il ne pouvait pas s’enfuir par une fenêtre. L’immeuble était cerné et le toit devait être surveillé aussi. Sa seule issue était cette porte.
Quand il conclut cela, une évidence s’imposa à lui dans le même temps.
Il regarda alors dans l’œilleton après avoir recalculé ses chances. Comme la conclusion restait identique, il plaqua sans faire de bruit le canon de son arme contre la porte en bois.
L’immeuble était délabré, les portes vieilles, voire pourries ; une balle n’aurait aucun mal à passer au travers.
Il devait être à bonne hauteur. Le flic, de l’autre côté, s’avança à nouveau pour faire une autre sommation, certainement la dernière.
Ce fut à peine s’il entendit la détonation qui lui emporta la tête.


________________



De : Mr X (mrx@neoepoch.fr)
Envoyé : dim. 15/03/09 15:16
À : Deep Throat (deepthroat@sapientia.fr)

Jamais vous ne devinerez ce que j’ai entre les mains?
Toutes ces années à chercher, à me cacher, à échapper à toute sorte de
groupuscules… Tous mes sacrifices vont enfin payer !
Je l’ai ! J’ai LA preuve ultime ! Il me reste à la faire authentifier et ensuite je
pourrai faire éclater la vérité au grand jour ! Tout le monde saura. Le monde
doit savoir !

Celui qui se nommait Deep Throat regardait le message avec anxiété. Il y avait de quoi être inquiet.
Il était bientôt 15h45 et il n’avait aucune nouvelle. Une demi-heure était bien plus que suffisante pour régler le problème. On aurait dû le prévenir depuis un bon quart d’heure au moins ! Alors que s’était-il passé ?
Le téléphone de son bureau sonna. Il décrocha mais ne se présenta pas.
– C’est réglé, dit une voix à l’autre bout.
– Tout ? Vous n’avez rien oublié ?
– Un agent de police a été tué mais notre homme a ensuite été abattu. L’ordinateur a été confisqué, le cliché a été brûlé et le tube placé en sécurité vous savez où. Demain, on lira dans les journaux qu’un forcené a tué un policier alors que celui-ci procédait à son interpellation. Le forcené était en fait connu des services de police pour des actions terroristes.
– Ce sera parfait ! Je vais informer Milton que tout est sous contrôle.
– Bien. Enfin… dommage pour ce flic.
– On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Là dessus il raccrocha, se leva et se dirigea vers le bureau de Milton, un homme imposant qui ne souriait jamais.
Il attendit qu’on lui fasse signe d’entrer à travers la porte vitrée pour s’avancer et se posta au garde à vous.
– L’affaire X est conclue et rondement menée avec le concours de la police, dit-il. Nous avons récupéré la fiole et détruit le cliché.
– Bien ! Et ce mystérieux informateur ? Comment se fait-il qu’il ait eu cette fiole entre les mains ?
– Je pense qu’il était de la maison ; ou alors il connaissait quelqu’un pouvant avoir accès aux archives. J’ai demandé une enquête et tout devrait être résolu dans la semaine qui vient.
Milton se contenta d’acquiescer. Si cette affaire avait été menée de main de maître, il ne fallait pas s’attendre à des félicitations : jamais ses services n’auraient eu à se compromettre si les choses s’étaient passées correctement dès le départ.
Il avait parfois l’impression de n’être qu’un vulgaire plombier tout juste bon à colmater les fuites.
Il fit signe à son agent qu’il pouvait disposer.
Une fois la porte de son bureau refermée, Milton prit le combiné de son téléphone et y fixa un petit appareil au niveau de l’émetteur. Il ne composa aucun numéro.
– Mr Le Président, dit-il simplement.
Il attendit encore quelques secondes :
– Mr Le Président. C’est réglé. Il ne nous reste qu’à découvrir qui a fait sortir cette preuve de nos archives mais ça ne devrait pas être long. J’ai un homme tout désigné pour servir de bouc émissaire.
– …
– À votre service, Mr Le Président. Mais à l’avenir, si l’envie vous prend de brûler les étapes, faites-le moi savoir. Je sais comment freiner vos élans. Suis-je clair ? Merci, Mr Le Président !
Et il raccrocha.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire