Ça faisait au
moins une heure que George était sous la pluie battante, devant chez
lui, à fixer sa maison d’un regard démoniaque. L’eau ruisselait
sur son ciré, dévalait la pente devant son garage et se mêlait au
ruisseau qui cavalait dans la rue. George avait la capuche sur la
tête. Elle lui couvrait la moitié du visage, ce qui lui donnait un
air plus inquiétant. Encore fallait-il l’avoir vu. Avec ce temps,
cet orage qui durait depuis des heures, ce déluge qui ne cessait,
personne ne s’était aventuré dehors. Les volets étaient tirés
dans chaque maison de la rue. Personne ne pouvait voir George,
attendant devant son garage, une hache à la main.
D’aucun se
questionnerait sur le pourquoi George avait cette hache. Ce n’était
pas le moment pour fendre le bois. Non pas qu’il y ait une période
déterminée pour cela mais plutôt que le temps ne s’y prêtait
guère. Il était à peine 17 heures et il faisait presque nuit à
cause des nuages sombres amoncelés au-dessus de la ville. Se
pouvait-il alors que George eut d’autres desseins avec cette
hache ?
Probable. C’était
même certain. Dégoulinant, il passa la porte d’entrée.
Lentement, délicatement, afin de ne pas faire de bruit. Les lattes
craquaient à certains endroits alors il prit soin de ne pas marcher
sur les bardeaux qui trahirait sa présence. C’était fou tout de
même… il était chez lui et s’introduisait tel un voleur. Il
monta les escaliers sur la pointe des pieds. Là aussi, il fit
attention à la quatrième marche qui grinçait à chaque fois qu’on
lui passait dessus. Il ne fallait pas déranger madame. Il longea le
couloir. C’était plus facile grâce au tapis qui courait tout du
long. George le trempait de la pluie qui glissait de son ciré et le
dégueulassait de ses bottes en caoutchouc alourdie par la terre mais
il n’en avait plus rien à fiche.
Il poussa
doucement la porte de sa chambre. Sa femme était là, lui tournant
le dos, se dandinant sur le gourdin (prétentieux) de son amant
qu’elle avait attaché aux quatre coins du lit avec ses dentelles.
Le gars avait un bandeau sur les yeux et elle ne fit pas attention à
son mari qui s’approchait lentement, à pas de loup. À chacun
d’eux, la hache s’élevait un peu plus, lentement, sûrement,
impatiente d’œuvrer. Une seconde, la femme de George gémissait en
riant de prendre autant de plaisir et la suivante, son crâne était
en deux, un geyser de sang tapissant les murs, éjectant éclats d’os
et de cervelle. Son corps flasque s’écroula sur le côté et roula
sur le tapis, telle une poupée désarticulée. Le type sur le lit
hurlait, se demandant ce qui se passait, incapable de retirer le
bandeau de ses yeux. Il avait juste entendu sa maîtresse glousser
bizarrement avant un grand boum sourd. Une chose était sûre :
elle ne lui faisait plus son affaire et il commençait à sentir la
colère monter. Comment cette pouffe avait fait son compte pour
tomber du lit ?
Jamais il ne le
sut. La lame de George lui ouvrit le thorax d’un seul coup pendant
qu’il se débattait pour échapper aux étreintes de dentelles qui
lui maintenaient chevilles et poignets. Le don juan bougea encore
quelques instants, derniers spasmes produits par les résidus
d’électricité dans le corps. Du sang coula de sa bouche avant
qu’il ne s’immobilise. George resta un instant à le regarder,
cherchant à comprendre pourquoi sa femme avait jeté son dévolu sur
lui. Ça faisait quelques mois qu’il la sentait changée. Plus
heureuse. Il pensait au début que c’était lui le responsable de
ce changement. Avant de se rendre compte qu’il n’avait rien fait
pour cela. Alors il avait attendu, espionné et découvert
l’effroyable vérité. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre
sa décision. Et il n’avait pas fini. Il retira sa hache d’un
coup sec de ce petit connard prétentieux, libérant un autre flot de
sang que burent le matelas et les draps. Il comprit alors qu’il
prenait goût à cette odeur et à ce bruit si étrange de l’os qui
craque et de la chair qui se déchire.
Il posa son outil,
son arme – allez savoir comment appeler cette chose désormais –
sur la table de la cuisine et s’assit, fixant la porte d’entrée.
Il jeta un œil à la pendule, juste au-dessus du réfrigérateur. Il
pensait avoir passé plus de temps à l’étage. Ça ne faisait
qu’un quart d’heure à peine. Marjorie – « Marjo »
pour les intimes – sa fille cadette n’allait pas tarder. Seule ou
accompagnée ? Peu importait. Ça ne changerait rien, ça ne
l’arrêterait pas. De toute façon, à 17 ans, on n’avait pas à
faire la pute dans la cour de son lycée. Alors, quand la porte
d’entrée s’ouvrit avec de grands éclats de voix, l’analyse
fut rapide et les conséquences sans équivoque. Le fil aiguisé de
la hache fendit en deux celui qui dévergondait sa fille. Cette
dernière hurla (pour rien puisque l’orage au dehors écrasait sans
difficulté les cris), pétrifiée sur place, incapable de s’enfuir,
pourtant consciente que son père, devenu une bête assoiffée de
sang, ne la serrerait pas dans ses bras ce soir. Le sifflet lui fut
coupé net, comme on éteint une radio, mais dans le cas présent par
la hache qui virevolta, tournoya et lui trancha la gorge, envoyant la
tête blonde dans un coin du salon. Elle roula et percuta le fauteuil
avant de s’immobiliser, arborant des yeux révulsés et une bouche
grande ouverte d’où plus aucun son ne sortait. Dommage qu’elle
ne puisse voir la nouvelle coupe au carré que papa lui avait
taillée.
George tira le
corps de ce garçon qu’il ne connaissait même pas dans le hall et
referma la porte violemment. Le petit gars respirait encore. Pas pour
longtemps. Fallait-il donner un ultime coup de hache ? Pas
besoin. Il le laissa s’étouffer avec son propre sang de vaurien.
Le fils de George,
l’aîné, n’aurait pas le temps de voir le cadavre du copain de
sa sœur. Normalement, il devait arriver par le garage où il aurait
ramassé son vélo, aveuglé par toute cette pluie déterminée à
entretenir le déluge. Exactement comme George l’avait prévu,
Damien entra dans la maison pour constater, dans un premier temps, la
boue qui jonchait le sol ; dans un second que sa sœur faisait
office d’une décoration des plus morbides dans le salon ; et
enfin, que la vie ne valait plus vraiment la peine d’être vécue.
Pour sa part, il ne vit qu’un éclair. Il n’eut pas le temps de
se poser la moindre question. Cela évitait les réponses
désagréables.
Pour cette fois,
la hache resta dans la tête. Même lorsque Damien s’écroula.
George pleurait.
On l’avait obligé à massacrer sa famille. Sa fille n’avait plus
de tête (elle l’aurait perdue tôt ou tard avec la blondeur de ses
cheveux). Son fils ? Il l’avait fendue en deux. Quant à sa
catin de femme… il ne pleurait pas pour elle, il n’avait aucun
remord pour elle.
Ce fut le facteur
qui donna l’alerte le lendemain alors qu’il déposait un colis et
qu’il trouvait la porte d’entrée entrouverte. Curieux, il était
entré.
George voulait que
l’on découvre le carnage. Les flics qui investirent les lieux le
trouvèrent pendu au milieu de son salon.
Les rumeurs
allèrent bon train. Car si personne ne remarqua George, attendant
pendant plus d’une heure sous une pluie battante, une hache à la
main, la nuit précédant la tuerie, tout le monde avait vu le manège
de ce jeunot venu réconforter la maîtresse des lieux. On voyait
beaucoup de choses dans ce quartier. On voyait le jardin mal
entretenu de George. On voyait la peinture s’écailler sur les murs
de la maison de George. On voyait l’animosité de Georges. On
voyait le regard froid de George. On voyait que ça filait du mauvais
coton lorsqu’on parlait des enfants de George. On voyait que ce
drame devait arriver de toute façon. On voyait que ça n’étonnait
personne.
Seul le vieux
Talbert disait :
– C’est ce
foutu arbre. Un acacia n’a rien à faire ici. C’est même pas son
climat ! Il devrait pas pousser ici, c’est pas bon signe. Et
vous avez vu l’adresse ? 1318 ! Ça fait beaucoup de
détails pour que ce soit une coïncidence. Cette baraque est
maudite ! Maudite, j’vous dis !
Mais personne
n’écoutait le vieux Talbert.
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