samedi 15 octobre 2016

01 - 1966 - Prologue

Ça faisait au moins une heure que George était sous la pluie battante, devant chez lui, à fixer sa maison d’un regard démoniaque. L’eau ruisselait sur son ciré, dévalait la pente devant son garage et se mêlait au ruisseau qui cavalait dans la rue. George avait la capuche sur la tête. Elle lui couvrait la moitié du visage, ce qui lui donnait un air plus inquiétant. Encore fallait-il l’avoir vu. Avec ce temps, cet orage qui durait depuis des heures, ce déluge qui ne cessait, personne ne s’était aventuré dehors. Les volets étaient tirés dans chaque maison de la rue. Personne ne pouvait voir George, attendant devant son garage, une hache à la main.
D’aucun se questionnerait sur le pourquoi George avait cette hache. Ce n’était pas le moment pour fendre le bois. Non pas qu’il y ait une période déterminée pour cela mais plutôt que le temps ne s’y prêtait guère. Il était à peine 17 heures et il faisait presque nuit à cause des nuages sombres amoncelés au-dessus de la ville. Se pouvait-il alors que George eut d’autres desseins avec cette hache ?
Probable. C’était même certain. Dégoulinant, il passa la porte d’entrée. Lentement, délicatement, afin de ne pas faire de bruit. Les lattes craquaient à certains endroits alors il prit soin de ne pas marcher sur les bardeaux qui trahirait sa présence. C’était fou tout de même… il était chez lui et s’introduisait tel un voleur. Il monta les escaliers sur la pointe des pieds. Là aussi, il fit attention à la quatrième marche qui grinçait à chaque fois qu’on lui passait dessus. Il ne fallait pas déranger madame. Il longea le couloir. C’était plus facile grâce au tapis qui courait tout du long. George le trempait de la pluie qui glissait de son ciré et le dégueulassait de ses bottes en caoutchouc alourdie par la terre mais il n’en avait plus rien à fiche.
Il poussa doucement la porte de sa chambre. Sa femme était là, lui tournant le dos, se dandinant sur le gourdin (prétentieux) de son amant qu’elle avait attaché aux quatre coins du lit avec ses dentelles. Le gars avait un bandeau sur les yeux et elle ne fit pas attention à son mari qui s’approchait lentement, à pas de loup. À chacun d’eux, la hache s’élevait un peu plus, lentement, sûrement, impatiente d’œuvrer. Une seconde, la femme de George gémissait en riant de prendre autant de plaisir et la suivante, son crâne était en deux, un geyser de sang tapissant les murs, éjectant éclats d’os et de cervelle. Son corps flasque s’écroula sur le côté et roula sur le tapis, telle une poupée désarticulée. Le type sur le lit hurlait, se demandant ce qui se passait, incapable de retirer le bandeau de ses yeux. Il avait juste entendu sa maîtresse glousser bizarrement avant un grand boum sourd. Une chose était sûre : elle ne lui faisait plus son affaire et il commençait à sentir la colère monter. Comment cette pouffe avait fait son compte pour tomber du lit ?
Jamais il ne le sut. La lame de George lui ouvrit le thorax d’un seul coup pendant qu’il se débattait pour échapper aux étreintes de dentelles qui lui maintenaient chevilles et poignets. Le don juan bougea encore quelques instants, derniers spasmes produits par les résidus d’électricité dans le corps. Du sang coula de sa bouche avant qu’il ne s’immobilise. George resta un instant à le regarder, cherchant à comprendre pourquoi sa femme avait jeté son dévolu sur lui. Ça faisait quelques mois qu’il la sentait changée. Plus heureuse. Il pensait au début que c’était lui le responsable de ce changement. Avant de se rendre compte qu’il n’avait rien fait pour cela. Alors il avait attendu, espionné et découvert l’effroyable vérité. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre sa décision. Et il n’avait pas fini. Il retira sa hache d’un coup sec de ce petit connard prétentieux, libérant un autre flot de sang que burent le matelas et les draps. Il comprit alors qu’il prenait goût à cette odeur et à ce bruit si étrange de l’os qui craque et de la chair qui se déchire.
Il posa son outil, son arme – allez savoir comment appeler cette chose désormais – sur la table de la cuisine et s’assit, fixant la porte d’entrée. Il jeta un œil à la pendule, juste au-dessus du réfrigérateur. Il pensait avoir passé plus de temps à l’étage. Ça ne faisait qu’un quart d’heure à peine. Marjorie – « Marjo » pour les intimes – sa fille cadette n’allait pas tarder. Seule ou accompagnée ? Peu importait. Ça ne changerait rien, ça ne l’arrêterait pas. De toute façon, à 17 ans, on n’avait pas à faire la pute dans la cour de son lycée. Alors, quand la porte d’entrée s’ouvrit avec de grands éclats de voix, l’analyse fut rapide et les conséquences sans équivoque. Le fil aiguisé de la hache fendit en deux celui qui dévergondait sa fille. Cette dernière hurla (pour rien puisque l’orage au dehors écrasait sans difficulté les cris), pétrifiée sur place, incapable de s’enfuir, pourtant consciente que son père, devenu une bête assoiffée de sang, ne la serrerait pas dans ses bras ce soir. Le sifflet lui fut coupé net, comme on éteint une radio, mais dans le cas présent par la hache qui virevolta, tournoya et lui trancha la gorge, envoyant la tête blonde dans un coin du salon. Elle roula et percuta le fauteuil avant de s’immobiliser, arborant des yeux révulsés et une bouche grande ouverte d’où plus aucun son ne sortait. Dommage qu’elle ne puisse voir la nouvelle coupe au carré que papa lui avait taillée.
George tira le corps de ce garçon qu’il ne connaissait même pas dans le hall et referma la porte violemment. Le petit gars respirait encore. Pas pour longtemps. Fallait-il donner un ultime coup de hache ? Pas besoin. Il le laissa s’étouffer avec son propre sang de vaurien.
Le fils de George, l’aîné, n’aurait pas le temps de voir le cadavre du copain de sa sœur. Normalement, il devait arriver par le garage où il aurait ramassé son vélo, aveuglé par toute cette pluie déterminée à entretenir le déluge. Exactement comme George l’avait prévu, Damien entra dans la maison pour constater, dans un premier temps, la boue qui jonchait le sol ; dans un second que sa sœur faisait office d’une décoration des plus morbides dans le salon ; et enfin, que la vie ne valait plus vraiment la peine d’être vécue. Pour sa part, il ne vit qu’un éclair. Il n’eut pas le temps de se poser la moindre question. Cela évitait les réponses désagréables.
Pour cette fois, la hache resta dans la tête. Même lorsque Damien s’écroula.
George pleurait. On l’avait obligé à massacrer sa famille. Sa fille n’avait plus de tête (elle l’aurait perdue tôt ou tard avec la blondeur de ses cheveux). Son fils ? Il l’avait fendue en deux. Quant à sa catin de femme… il ne pleurait pas pour elle, il n’avait aucun remord pour elle.

Ce fut le facteur qui donna l’alerte le lendemain alors qu’il déposait un colis et qu’il trouvait la porte d’entrée entrouverte. Curieux, il était entré.
George voulait que l’on découvre le carnage. Les flics qui investirent les lieux le trouvèrent pendu au milieu de son salon.
Les rumeurs allèrent bon train. Car si personne ne remarqua George, attendant pendant plus d’une heure sous une pluie battante, une hache à la main, la nuit précédant la tuerie, tout le monde avait vu le manège de ce jeunot venu réconforter la maîtresse des lieux. On voyait beaucoup de choses dans ce quartier. On voyait le jardin mal entretenu de George. On voyait la peinture s’écailler sur les murs de la maison de George. On voyait l’animosité de Georges. On voyait le regard froid de George. On voyait que ça filait du mauvais coton lorsqu’on parlait des enfants de George. On voyait que ce drame devait arriver de toute façon. On voyait que ça n’étonnait personne.
Seul le vieux Talbert disait :
– C’est ce foutu arbre. Un acacia n’a rien à faire ici. C’est même pas son climat ! Il devrait pas pousser ici, c’est pas bon signe. Et vous avez vu l’adresse ? 1318 ! Ça fait beaucoup de détails pour que ce soit une coïncidence. Cette baraque est maudite ! Maudite, j’vous dis !
Mais personne n’écoutait le vieux Talbert.

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