samedi 15 octobre 2016

03 - 1986

Jennifer et Miles formaient un jeune et joli couple. Dès qu’on les voyait, on sentait, on savait que ces deux-là étaient fait l’un pour l’autre. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une dispute. Aucun des deux n’avait ou ne prenait le dessus sur l’autre. C’était l’osmose parfaite. Ils étaient très amoureux, ne pouvait se passer l’un de l’autre et se tenaient toujours par la main lorsqu’ils se promenaient dans la rue, sur la marché, au square…
Plus tard, ils seraient comme ces oiseaux dont l’un claquait peu de temps après que l’autre rendait son tablier. Du moins… s’il y avait un plus tard.

Parce que si le couple jouissait d’une chance incroyable depuis leur coup de foudre sur les bancs de l’université, il ne sut pas qu’en ce jour il allait commettre la plus grosse connerie de sa vie. Tout sourire et excités de pouvoir enfin signer le contrat de vente, leur attestant qu’ils avaient accompli un autre rêve de leur vie, il leur restait une étape à franchir : celle de fonder la famille de leur rêve.
Bientôt, quand leur chambre serait aménagée, un petit Miles Jr ou une petite Noemi (oui, on ne reprenait jamais le prénom de sa maman ! Une barrière de plus à franchir dans le combat pour l’égalité des sexes – après quoi il faudrait trouver de quoi affubler le petit prénom féminin parce que « Jr »… ça ne le faisait pas !), gambaderait dans le jardin du 1318, rue de l’acacia. Ils auraient pu habiter le 1316 ou le 1320 ou encore le 1319, juste en face… Le sort s’acharnait. Il fallait qu’ils héritent de la maison maudite. Et personne pour les prévenir. Surtout pas l’agent immobilier. Il n’y était pour rien le pauvre. Nouveau venu. Et on ne lui avait pas précisé tout ce qui s’était passé dans cette demeure. Aurait-il vendu cette maison s’il avait été au courant ? Rien de moins sûr. Quoi qu’il en soit, il s’en fichait pas mal. C’était sa seule et unique vente dans le mois alors on le congédia poliment, le satisfaisant tout de même d’une vente (réputé impossible, mais ça aussi, on le tut).

Jennifer et Miles fêtèrent leur nouvelle acquisition comme il se devait. Au champagne, devant un repas de fortune sur une couverture au milieu du salon encore vide. Un repas aux chandelles, en amoureux, dans le plus pur bonheur qui soit. Dès le lendemain, ils videraient le garde-meuble, qu’ils avaient loué avant de s’installer ici, pour donner un peu plus de vie à cet endroit, pour lui donner une personnalité, un côté unique.
Un frisson parcourut Jennifer. Mais elle mit cela sur le dos du baiser langoureux que lui offrait son compagnon. Jamais on ne pensait qu’une maison choisissait ses occupants. C’était plutôt l’inverse. Logique. Mais ici, entre ces murs, la logique était un concept oublié depuis longtemps.

Ce furent des journées de fous qui se succédèrent. Arracher le papier, en mettre un autre, revernir les planchers, ramener les meubles, les placer, les nettoyer, laver partout, aérer, faire disparaitre cette odeur étrange…
– C’est le refermé que tu sens, disait Miles.
– Non, il y a autre chose, répondait Jennifer qui ne connaissait pas encore le parfum brutal de la mort.
Épuisés, ils mangeaient vite fait avant de s’effondrer dans le lit – première chose qu’ils avaient installée. Et le lendemain, il fallait recommencer. S’épuiser à installer, laver, à chasser l’odeur. Ça ne dura qu’une semaine. Il n’en restait qu’une avant que Miles ne reprenne le travail. En fait, il reprenait un poste d’assistant de direction dans une usine du coin. Pour lui, c’était un premier jour alors qu’il côtoyait le métier depuis sa sortie de l’université. Tout était un nouveau jour, chaque jour. Ainsi, pas de routine. Il découvrait sa femme à chaque matin et elle en faisait autant. C’était pour ça que leur couple durait. Et c’est ce qui dérangeait la maison.
Il leur arrivait de ne pas être d’accord sur des sorties, des programmes télés, des opinions quelles qu’elles soient mais jamais ils ne se braquaient ou ne se mettaient en colère pour autant. Et ce jour-là, Miles vit bien que Jennifer était contrariée.
– Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il, avec cette tendresse légendaire dont il faisait preuve et un brin d’inquiétude.
– Cette couleur ne me va pas, répondit Jennifer qui fixait la peinture sur le mur de la cuisine.
– On l’a pourtant choisie.
– Oui mais elle ne me plait pas.
– Fallait le dire avant de sortir du magasin…
– T’en a de bonnes, toi ! Comme si on pouvait savoir qu’une couleur est convenable en regardant un pot !
– On en a longuement parlé, on savait que ça serait la bonne.
– Elle ne l’est pas !
– Va falloir retourner au magasin, prendre du décapant, passer des heures à tout retirer pour tout refaire !
– On dirait que ça t’emmerde !
– On a passé des jours, à s’épuiser à faire ça !
– Et c’est dégueulasse ! Faut qu’on recommence !
– Je bosse maintenant ! J’ai pas envie de passer mes week end dans les pots de peinture !
– Ah formidable, tu bosses ! Ça veut dire que comme je ne bosse pas, je peux le faire toute seule !
– Je n’ai pas dit ça, c’est juste que je suis crevé quand arrive le week end et que je n’ai pas envie de le passer à repeindre cette foutue cuisine !
– Très bien, dans ce cas, on oublie tout !
Jennifer se leva, vida le reste de son assiette dans la poubelle et balança les couverts dans l’évier. Miles était dégoûté. Il ne s’était jamais énervé comme ce soir. Jennifer ne s’était jamais mise dans un état pareil.
Il la rejoignit dans leur chambre et se colla contre, la prenant dans ses bras. Il s’excusa, ne sachant pas quoi dire, pas quoi penser, ne comprenant même pas pourquoi il avait réagi comme ça. Elle non plus ne comprenait pas ce qui lui avait pris. Toute cette histoire pour un pot de peinture ! Ils en rirent et se réconcilièrent sur l’oreiller.

La couleur des murs de la cuisine changea. Encore une fois, Jennifer ne l’appréciait pas mais elle ne dit rien. Elle prit sur elle, pour éviter tout débordement, tout écart, toute dispute, toute colère, toute situation dont monsieur pourrait profiter pour lui faire des reproches.
Il n’y avait pas que la peinture qui changea. Elle se sentait fatiguée et irritée. Elle en parla à Miles qui l’écouta à peine. Ça se passait mal au boulot. Il était stressé. Il faisait de son mieux mais ce n’était jamais assez. Son supérieur avait toujours quelque chose à redire. Chaque soir, Miles revenait déprimé et il angoissait de devoir y retourner le lendemain. Les seuls moments de paix qu’il s’accordait était ceux passés avec Jennifer, à regarder une connerie à la télé.
C’était devenu une routine, sans enthousiasme, sans lendemain, un de ces trucs qui vous bouffe le cerveau, le ramollissant et faisant de vous un zombie. Jennifer déprimait elle aussi de voir son compagnon si malheureux et si distant. Un cercle vicieux, une tourmente qu’ils ne pouvaient contrôler et dont ils ne sortiraient pas de sitôt.
Un soir, la maison leur donna une distraction supplémentaire. Ils virent le truc filer devant eux et se réfugier derrière la meuble-télé. Jennifer sursauta et poussa un cri si perçant que Miles crut en perdre une oreille. Il ragea contre elle, une fois de plus, et entreprit de déplacer le meuble. C’était un rat, gros comme le bras. Il eut un mouvement de recule alors que la bestiole poussait un cri et détalait dans la direction opposée
Jennifer se mit à lui jeter dessus tout ce qui lui passait entre les mains. Verres pleins ou vides, ça ne faisait aucune différence. Bibelot, assiettes, programme télé et autres bouquins, tout volait.
– MAIS ARRÊTE ! hurlait Miles. PAS LA PEINE DE JETER N’IMPORTE QUOI !
L’hystérie de Jennifer passée, il chercha un balai. Allez savoir pourquoi on pense à un balai en priorité pour chasser le rat. C’était loin d’être aussi pratique qu’un hachoir, loin d’être aussi maniable. Le souci était qu’ils ne savaient pas où se planquait l’immonde saleté. Et Jennifer était plus un boulet qu’une aide. Elle s’était accrochée aux épaules de Miles et il se retenait de ne pas l’envoyer paître. Si au moins elle prenait quelque chose pour traquer le rat elle aussi…
Il gambadait sur le living, bientôt pourchassé par le balai qui vida les babioles et autres ramasse-poussières. Le salon devint très rapidement un champ de bataille où chaque coup de balai causait plus de dégâts à la décoration qu’à l’indésirable. Jennifer hurlait dans les oreilles de Miles à chaque fois qu’elle voyait le monstre à quatre pattes filer à travers la maison. Et à chaque fois, il gueulait, plaquant une main à son oreille. Il finit par l’envoyer dans leur chambre, restant seul pour terminer la traque. Et ce n’était pas un… mais deux rats qu’il devait courser.
Jennifer pointait le bout de son nez, elle aussi, régulièrement, pour savoir s’il en était venu à bout, ce qui exaspérait Miles.
À la fin, il ne lui répondait même plus.
La chasse dura une bonne partie de la nuit. Miles avait troqué le balai contre une faucille trouvée dans le garage. La fatigue aidant, il ronchonnait tout seul devant ces invités qui devaient bien se marrer. Puis il était en rage avant d’abandonner la poursuite.
Jennifer ne voulait rien savoir.
– Je ne pourrai pas dormir en sachant que ces bêtes peuvent monter l’escalier ! disait-elle.
– Et bien dans ce cas, vas-y, puisque tu es si maline ! rétorquait Miles. Moi, j’en peux plus, dans cinq heures, je dois être debout !
Et il se tourna de son côté, s’enfouit sous ses couvertures et donna un coup d’épaule lorsque Jennifer se pencha sur lui pour s’excuser.
Bonne nuit…

Au matin, Miles s’était éclipsé sans un au revoir, sans un baiser. Jennifer aimait pourtant qu’il la réveille doucement pour lui souhaiter une bonne journée. Elle se leva et prit toutes les précautions pour éviter de croiser les deux occupants supplémentaires de la veille.
Les larmes aux yeux, elle appela un dératiseur et eut du mal à avaler son petit déjeuner. Elle prit une douche toujours en surveillant le moindre recoin et toujours les larmes aux yeux.
Le dératiseur débarqua deux heures après. Il lui expliqua que c’était la première fois qu’il venait dans le quartier. Autrement dit, personne n’avait de rats chez lui, hormis Miles et Jennifer. Ils n’avaient pourtant rien fait pour attirer les nuisibles. C’était comme s’ils étaient sortis de nulle part.
Jennifer suivait le dératiseur partout, écoutant ses anecdotes les plus incroyables (elle le soupçonnait d’en rajouter des couches pour faire plus sensationnel) et se méfiant du moindre recoin sombre pouvant abriter ces choses qu’elle exécrait. C’était à peine si elle écoutait l’exterminateur. Il resta près de deux heures à fouiller la maison de fond en comble sans rien trouver. Il posa des pièges, des coupelles avec du poison à l’intérieur, tout ce qu’il fallait pour lui permettre de revenir et facturer son déplacement.
Sur la table de la cuisine, il signa le contrat d’intervention. Et, attiré par la jupe courte de sa cliente, il risqua une main sur la peau nue qui s’offrait à lui. Jennifer sursauta et gifla l’homme qui en fut surpris. Il ne s’excusa pas. Il ne comprenait pas pourquoi cette réaction. Lorsque Jennifer, furieuse, le menaça de porter plainte s’il osait remettre les pieds chez elle, il demanda pourquoi il fallait en venir à ces extrêmes.
– Mais enfin, je ne comprends pas… Je n’ai rien trouvé, d’accord et si vous voulez, je vous laisse les pièges gratuitement…
C’était au tour de Jennifer de ne rien comprendre. Etait-ce un bon comédien ou se foutait-il d’elle ?
– Ne me prenez pas pour une débile !
– Je ne vois pas de quoi vous parlez, madame, je vous assure.
– Vous venez de me toucher !
Le dératiseur la fixait, l’air hagard. Il ne plaisantait pas : il ne comprenait pas ce dont parler Jennifer. Si elle n’était pas aussi fatiguée et aussi perdue depuis quelques mois, elle l’aurait flanqué à la porte sans hésitation. Mais aujourd’hui, elle doutait. L’avait-il touché ou non ? Avait-elle rêvé ? Comme elle avait rêvé les rats courant partout dans la maison ? Non, Miles les avait vus lui aussi. Il avait même passé une bonne partie de la nuit à ruiner la maison à coup de balai, de marteau et de faucille !
Le dératiseur ramassait ses affaires à la hâte en maugréant :
– Je n’ai jamais été aussi humilié de la sorte ! Gardez les pièges et le poison, étouffez-vous avec !
Et il partit en claquant la porte. Jennifer voulut s’excuser mais les sanglots l’en empêchèrent. Elle devenait folle. Elle imaginait des rats et maintenant un harcèlement sexuel inexistant.
Le soir, lorsqu’il rentra, Miles trouva le contrat d’intervention du dératiseur. Il salua l’initiative de sa femme et la serra contre elle. C’était plus d’émotion qu’elle ne put en supporter et elle fondit en larmes. Elle retrouvait Miles, son Miles, doux, compréhensif, attentionné, présent et en même temps, elle comprenait enfin qu’elle n’était pas folle, que les rats étaient vrais et que cet homme l’avait bien touchée. Toute la journée passée à tourner en rond dans la maison, à se demander si elle n’avait pas des hallucinations. Quel soulagement !
– Qu’est-ce que tu as encore ? demanda Miles durement.
Jennifer le regarda et retrouva ce regard froid qu’il arborait depuis quelques temps. Elle balbutia quelques mots incompréhensibles. Miles se moqua d’elle, imitant un bègue, et les larmes reprirent de plus belle.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive bordel ? T’es toujours en train de chialer ou d’avoir peur ! Ouh ! Un malheureux petit rat, comme j’ai peur ! s’exclama-t-il, redoublant d’effort pour être le plus méprisable possible. La couleur me plait pas ! J’aime pas cette maison, j’ai peur, j’ai mal au cul !
Et il lança sa sacoche dans la vitrine derrière lui. Nouvelle explosion de babiole et de larmes. La gifle partit. Brutale, sèche, violente. Jennifer ne bougea pas, terrorisée. C’était la première fois que Miles portait la main sur elle. Elle n’en revenait pas et restait tétanisée. Pas parce qu’une seconde gifle pouvait partir, elle n’y pensait même pas, mais parce que la première était bien partie, elle. Elle était comme une gamine découvrant les dures réalités de la vie.
Miles, quant à lui, ne semblait pas réagir face à son geste. C’était normal, naturel. Une femme, c’était fait pour ça : recevoir des claques sans raison. Sa main le brûlait. Chaque partie de sa peau enregistrait les données sur l’effet que procurait une beigne. Ça lui plaisait mais une partie de son cerveau lui disait qu’il ne fallait pas abuser, qu’il fallait profiter de l’adrénaline que ça procurait, attendre que son effet passe et trouver une autre occasion pour recommencer. Alors, sans aucun autre mot (parce qu’il n’y avait rien à dire en réalité), Mile grimpa à l’étage, se coucha et passa une nuit plutôt bonne.

Jennifer était totalement transparente. Il n’y avait plus de regards, plus de ballade main dans la main, plus de rigolade, plus de tendresse, plus d’affection, plus de complicité… Il n’y avait que colère et gifles. Comment Miles avait-il pu changer à ce point ? Que se passait-il à son travail pour qu’il ait autant changé ? Jamais elle ne se dit que la maison y était pour quelque chose. Les rats étaient revenus et avec eux, les cafards couraient après les murs. Jennifer devenait folle et redoutait chaque soir où Miles rentrait. Elle restait dans son coin, pour ne pas le provoquer. Elle ne disait rien, ne demandait rien, pas même un moment privilégié. Elle faisait attention à ne rien casser, maladroite qu’elle était ; elle tenait la maison le plus propre possible ; elle jaugeait chaque mot avant de le dire pour ne pas déclencher une colère qui, de toute façon, serait injustifiée.
Bref ! Elle vivait quotidiennement dans la peur de son mari, des rats ou de quoi que ce soit qui n’allait pas dans cette maison. Chaque matin, lorsqu’elle se levait, elle angoissait de sa future journée. Et pas uniquement. Elle angoissait pour tout en fait. Le moindre bruit, la moindre ombre à l’extérieur la faisait sursauter. Elle voulait en parler à Miles mais… Faire passer la santé mentale de sa femme avant cette maison serait un miracle.
Elle essaya de sortir un peu, de voir du monde. Elle n’avait pas d’amis. Pas ici, ils étaient tous à des centaines de kilomètres. Leur téléphoner ? Oui, pourquoi pas… si seulement, la facture ne lui valait pas une raclée. Leur écrire alors ? Elle aurait le temps de crever d’ici à recevoir une réponse.
Elle n’avait pas pris le temps de faire des rencontres. Elle pensait, elle réfléchissait, à comment elle en était arrivée là ; comment ils en étaient arrivés là. Comment son couple, si parfait (ils le savaient, on ne cessait de leur dire), avait-il explosé ? Et pourquoi elle se sentait si bien, loin de cette baraque ? Son cerveau semblait fonctionner à nouveau normalement, tout se faisait clair : tout débuta quand ils posèrent un pied dans la maison. À moins que ce ne soit au moment de signer le contrat de vente ? Et si on remontait plus loin… quand ils décidèrent de faire cette acquisition ? Quand ils décidèrent de vivre ensemble ? Quand ils acceptèrent de former ce couple si parfait ?
Elle ne se rendit pas compte qu’elle arrivait en ville. Elle vit l’agence immobilière de l’autre côté de la ville, celle qui gérait leur dossier. Elle s’y rendit ; pour poser une question toute simple.
– Est-ce qu’il s’est passé quelque chose dans cette maison ?
On la regarda étrangement. Elle était folle après tout, alors quoi de plus naturel ? À moins que ce ne soit de la peur que Jennifer lisait dans ces yeux. La jeune femme qui la reçut se précipita dans le bureau du grand manitou. Il ne fit pas attendre sa cliente et l’invita à le suivre. Ils s’isolèrent dans le bureau. Personne ne devait savoir. Pourtant, tout le monde connaissait l’histoire de cette maison qu’on refourguait de décennie en décennie. Pourquoi se planquer ?
– La personne qui vous a vendu la maison n’est plus parmi nous, malheureusement, lui dit le directeur sans qu’elle lui pose la moindre question.
Et elle n’était pas venue pour cela. Il s’en fichait. Mais alors qu’elle n’attendait rien, cette question lui étant venue à l’esprit sans raison, elle commençait à se dire qu’en fin de compte, elle avait quelque chose à creuser.
– Pourquoi dites-vous cela ? demanda-t-elle. Je ne viens pas pour cela !
– Vous venez pour quoi alors ? Il y a un problème avec cette maison ? questionna le directeur, nerveux.
Nouvel indice. Et encore plus d’interrogations pour Jennifer qui se méfia.
– Si on peut dire, hasarda-t-elle.
Nouvelle gêne. Le type semblait s’enfoncer un peu plus sous son bureau à chaque seconde.
– Il s’est passé quelque chose dans cette maison, n’est-ce pas ? insista Jennifer.
Elle qui se croyait folle... c’était sûrement l’être le plus rationnel ici.
– Pourquoi pensez-vous qu’il se soit passé quelque chose ?
– Je ne me sens pas bien là-bas, je ressens des choses.
– Et alors ? Je ne peux rien faire pour vous !
– Vous pouvez répondre à ma question !
– C’est une maison comme une autre ! Que voulez-vous que je vous dise ? Vous pouvez ne pas l’aimer, je n’y suis pour rien ! Mais vos six mois sont passés, vous ne récupérerez pas votre caution.
– Je me fous de la caution…
– Veuillez m’excuser madame mais j’ai encore beaucoup de travail !
Jennifer n’insista pas. C’était une habitude chez elle de baisser les bras. Elle se leva et partit sans remercier (de quoi ?), sans saluer (pour quoi ?). Elle rentra directement chez elle, non sans une boule au ventre. Et quand elle posa un pied dans le hall, son angoisse la reprit.

Le soir-même, elle ne put s’empêcher de rompre le silence. Elle expliqua à Miles ce qu’elle vivait, ce qu’elle ressentait, tout l’amour qu’elle avait pour lui et son incompréhension devant ses agissements. Il l’écouta, de la tendresse plein les yeux au fur et à mesure que Jennifer parlait, conscient de ce qu’ils venaient de vivre, de ce changement de comportement, du mal qu’il lui avait fait et de la souffrance qu’elle éprouvait.
Puis le silence s’installa de nouveau. Gênant, pesant.
Avant… avant qu’ils ne s’approprient cette maison, ils pouvaient discuter de tout, régler n’importe quel problème en discutant. Jamais un tel silence ne s’étaient intercalé entre eux.
Jennifer retint tant bien que mal ses larmes qui montaient à vitesse grand V. Elle coupa un morceau de fromage dans son assiette, le piqua de son couteau et le mit à la bouche.
L’attention de Miles se transforma aussitôt en rage. Il détestait qu’elle fasse cela. Jusqu’ici, il n’avait rien dit. Quoi qu’il n’en dit pas plus ce soir-là. Il prit Jennifer par la tête, à l’arrière et la frappa contre la table violemment. Le couteau se planta dans le palet de la jeune femme. Elle se redressa, incapable de parler et regarda son mari, les yeux exorbités, emplis d’incompréhension et de larmes ; du sang coulant à flot de sa bouche, sur son menton, inondant son t-shirt moulant et le manche du couteau dépassant de sa bouche. Elle n’osait pas le toucher.
Miles, lui, riait. Pas encore aux éclats mais le regard ahuri de sa femme l’amusait au plus haut point. Il se leva, fouilla dans un tiroir derrière lui et revint vers Jennifer dont les yeux s’écarquillèrent de plus belle lorsqu’elle vit la lame.
En silence… parce que tout ceci ne souffrait d’aucune discussion… Miles trancha net la gorge de sa femme. La tête de celle-ci tomba lourdement dans son assiette et le sang coula abondamment sur le sol. Lorsqu’elle rendit son dernier souffle, Miles regarda le couteau ensanglanté dans sa main. Il le lâcha avant de hurler en prenant Jennifer dans ses bras, se maudissant pour ce qui lui était arrivé.
Lorsque la police arriva, alertée par un voisin promenant son chien et effrayé par les hurlements de Miles, ce dernier ne sut expliquer ce qui était arrivé à sa femme. Quand plus tard l’enquête révèlera que ses empreintes étaient sur l’arme du crime, il ne pourra y croire. Il clamera éperdument son innocence. Il ira jusqu’à dire que c’était la maison la responsable de sa folie. Il dira qu’il l’entendait rire lorsque les flics l’avaient embarqué.

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