La
Résidence du Paradis n’avait de paradisiaque que le nom. Et
encore, le « i » faisait une sale tronche sur le mur
délabré d’où le crépi tombait tout seul.
Même
les chiens n’osaient plus venir régulièrement délimiter leur
territoire à force de recevoir des morceaux de plâtre sur la
caboche.
Les
gamins du quartier faisaient de ces murs leur terrain de jeu : à
celui qui parviendrait à faire tomber le plus gros morceau de crépi
avec un seul caillou et en une seule fois.
Les
adultes s’y mettaient aussi quand ils avaient un coup dans le nez.
L’alcool leur faisant voir les cailloux en double alors ils
balançaient leurs bouteilles de bière ou de whiskey avant que le
monde ne se mette subitement à tourner, tourner, tourner.
Oui…
La Résidence du Paradis n’avait de paradisiaque que le nom.
Et
aujourd’hui était un jour qui allait prouver une fois de plus
cette maxime.
Appartement
04.73.01.01
Un
petit Pfion, à peine audible. La balle traversa l’espace
vide et aucun muscle, aucun os n’eut la bonne idée de l’arrêter.
Elle continua sa course, entraînant avec elle un filet de sang qui
alla négligemment peinturlurer le mur derrière le cadavre qui
s’effondra sur la moquette.
La
petite balle continua son chemin. Et comme les murs des appartements
étaient en aussi bon état que le crépi à l’extérieur, rien ne
s’opposa à sa promenade matinale.
Elle
perça le placo et Garry entendit un couinement, comme celui
qu’aurait poussé un rat, immédiatement suivit d’un cri de
surprise, qui précéda de près celui d’horreur, d’une vieille
dame.
Garry
restait planté au milieu de la pièce, les bras ballants le long du
corps et écoutait les jérémiades de la vieille, jaugeant
l’importance d’une éventuelle intervention.
Ce
n’est pas parce qu’elle est vieille qu’elle ne va pas
comprendre qu’une balle vient de défoncer son hamster !
lui dit une petite voix en colère au fond de sa tête.
C’était
la petite voix de la raison. Parce qu’elle avait toujours raison.
Et ce que Garry avait pris pour un rat devait en fait être un
hamster : la voix l’avait dit.
Garry
enjamba le corps inerte au milieu du salon. Son contrat était rempli
mais il comprit qu’il allait devoir faire des heures
supplémentaires.
Il
sortit dans le couloir et referma la porte de l’appartement
derrière lui, tout en s’assurant que personne ne l’observait. Il
cacha son arme sous son perfecto et se dirigea vers la porte à côté
pour y coller une oreille intéressée.
Appartement
04.73.01.02
Mme
Siggleton – une vieille anglaise qui se donnait des airs de femme
de la haute société avec son chignon parfait, son peignoir élimé
et ses manières de fausse bourgeoise auxquelles on ne croyait plus –
voyait, il y avait quelques secondes de cela, son hamster voler en
éclat dans sa cage, tandis qu’il faisait ses exercices quotidiens
dans sa roue voilée.
La
pauvre bête avait juste eu le temps de pousser un cri avant de
retapisser une partie du jolie papier à fleurs à gerber que la
vieille avait fait poser par son gendre (qui, soit dit en passant,
n’effectuait que de menus travaux pour se faire bien voir de la
morue, en attendant qu’elle claque et qu’il récupère
l’improbable fortune que Lady Siggleton ne possédait pas. Ce que
le gendre attentionné ne savait pas, c’était qu’en plus il
hériterait d’un joli petit tas de dettes qui, elles, n’avaient
rien d’improbables !).
Effarée
par ce qui était arrivé à son Gorky, Lady Siggleton ne remarqua
pas que sa porte d’entrée s’était ouverte toute seule. Elle ne
remarqua pas non plus l’homme qui s’insinuait derrière elle, à
pas feutrés, prêt à lui bondir dessus.
Garry
jeta un œil rapide à la cage pour constater que la petite voix
avait, pour la millième fois au moins, raison : c’était bien
un hamster qui avait explosé. Une sorte de bouillie informe rouge et
blanche coulait le long du meuble et tombait en tas sur le parquet.
Garry
ne put retenir une grimace. Et quand il reprit un tant soit peu ses
esprits, il tomba sur le regard froid et dur de Lady Siggleton. Elle
lui rappela une de ses institutrices quand il était à l’école
primaire. Une garce jusqu’au bout des ongles qui ne cessait de le
punir parce qu’il ne savait pas encore écrire un mot sans faire
quatre fautes dedans.
Oui,
une belle garce pincée, le chignon parfait au sommet du crâne, de
larges lunettes lui donnant l’air d’un crapaud sur un nez écrasé.
La vieille qui se tenait devant lui en était la réplique exacte.
– Qu’est-ce
que tu fais chez moi, espèce de p’tit trou du cul ? demanda
Siggleton en croisant les bras. Ta maman ne t’a jamais appris qu’il
était mal poli d’entrer chez les gens comme ça ?
Garry
en resta bouche bée. Il avait une main dans sa veste, sur son
automatique, mais ne put le sortir. Il ne se rendit même pas compte
qu’il avait posé la main dessus.
– Et
bien quoi ? continua la vieille. Tu n’as pas été assez
longtemps à l’école pour apprendre à parler, merdeux ?
– Je…
J’ai entendu du bruit, je suis venu voir si tout allait bien ?
mentit Garry, ne sachant pas vraiment quoi dire d’autre.
– Gorky
vient de se prendre une balle dans le cul ! À ton avis, est-ce
que tout va bien ?
Le
regard de Siggleton se faisait plus dur et plus froid encore. Garry
aurait pu le sentir en train de lui geler le cœur.
– Et
c’est vous qui parlez de politesse ? risqua Garry.
– Non
mais dis donc p’tit avorton ! C’est pas moi qui entre chez
les gens sans y avoir été invité ! Alors tu vas virer ton cul
d’là et dans la seconde ! Tu vas r’tourner chez ta mère et
apprendre à t’torcher les fesses avant d’te croire tout permis !
P’tit con !
– Oh
ça suffit la vieille, y en a marre de se faire insulter !
Et
Garry sortit son arme. Seulement, si un Dieu existait et qu’il
distribuait effectivement certaines aptitudes à ses ouailles,
l’adresse ne faisait pas partie de celles qu’avait reçues Garry.
L’arme
lui glissa des mains et tomba sur le tapis. Le coup partit et la
balle vint défoncer la carcasse de Gorky qui sauta dans sa cage,
telle un pantin désarticulé. C’était presque risible de voir la
bestiole morte se redresser pour faire un saut périlleux arrière
avant de retomber, une patte par ici, une autre par là, le nez dans
la sciure.
La
mère Siggleton poussa un autre cri en se tournant vers son hamster.
Elle n’eut que le temps de le voir s’aplatir une seconde fois
dans ses copeaux de bois. Elle rata le saut périlleux.
Ce
qui suivit n’était pas l’ordre d’une intervention divine
quelconque. C’était l’autre part de Garry qui jouait la partie.
C’était sa chance désinvolte qui se faisait écho à sa
maladresse.
En
effet, folle de rage – juste parce que son Gorky venait de prendre
une autre balle dans le buffet et non parce qu’un inconnu avait osé
pénétrer chez elle pour la menacer – la vieille Siggleton s’était
ruée sur Garry, griffes vernis d’une manière des plus douteuses,
de la couleur la plus douteuse, en avant.
Mais
la chance de Garry avait voulu que la pantoufle de la dame se prenne
dans un repli du tapis, que la dite dame s’affale en avant, bras
tendus, et que sa tête aille fusionner avec le coin de la table
basse en verre.
Les
yeux retournés vers le haut, la bouche grande ouverte, la vielle
Siggleton était là, à genoux, le cul en l’air, les mains
reposant sur le sol, paumes retournées vers le plafond, et laissant
un étrange mélange de sang et de bave couler sur le tapis.
Garry
regardait la posture et savait qu’il avait déjà vu cela quelque
part. Mais il ne parvenait pas à se souvenir où. Il voyait le sang
s’écouler du crâne fendu de la vieille harpie et ne parvenait
toujours pas à se rappeler où il avait vu cette chose aussi
absurde.
Perdu
sur la route de ses souvenirs peu fiables, il décida que jamais il
ne mourrait avec un coin de table dans la tronche.
Il
reprit donc son arme, la rangea une nouvelle fois dans sa veste et se
dirigea vers la sortie.
Le
couloir était désert. Il referma la porte doucement derrière lui,
fit quelques pas et entendit un grincement. Il se retourna pour voir
un œil qui le fixait par une porte entrebâillée, un peu plus loin.
Et
il ne fallait pas que l’on sache qu’il était venu par ici pour
régler l’ardoise d’un pauvre type qui s’était endetté aux
jeux.
Appartement
04.73.01.05
Eddy
referma sa porte avec précipitation et remit en place la petite
chaîne qui bloquait son ouverture. Il recula jusque dans sa cuisine
sans quitter la porte des yeux. Il était absurde qu’une si petite
chaîne retienne l’homme campé dans le couloir.
Eddy
ne le sentait pas. Un homme en blouson noir, avec des gants alors
qu’il faisait une chaleur à crever, ce n’était pas logique.
La
poigné de la porte s’abaissa lentement.
Eddy
était un crétin dans toute sa splendeur. Il n’avait pas pensé
fermer sa lourde à clé ! Alors il comprit que la petite
chaînette ne serait pas de taille à affronter le blouson noir et
qu’elle allait bientôt regretter son emploi précaire.
Mais
Eddy, même idiot, avait de la ressource. Et cette ressource se
trouvait justement sous son évier, dans le placard, à côté des
casseroles et du nid de cafard qu’il couvait depuis belle lurette.
Il
sortit son fusil à canon scié et se remit en face de sa porte, prêt
à pulvériser celui qui entrerait, un sourire de satisfaction aux
lèvres.
À
condition bien évidemment, qu’il y ait des balles dans ce fusil.
Ce qui était exclu vu qu’Eddy était… un parfait imbécile.
Il
s’empressa de renverser les cartouches qu’il trouva dans son
faitout et en coinça deux dans le canon de son fusil. Content, il se
redressa et le sourire de satisfaction aux lèvres qu’il arborait
alors tomba sèchement. Il garda les mains en l’air, le fusil dans
la main droite, alors que le silencieux qui lui faisait face le
menaçait de ses ténèbres.
Garry
fixait Eddy de ses yeux noirs. Ce dernier était habillé d’un
t-shirt douteux et d’un caleçon tâché à l’entrejambe. Vu
l’odeur qui régnait tout autour d’eux, Garry savait que le
bonhomme n’était pas un adepte de l’hygiène.
Il
tremblait. Il transpirait et puait le phoque à trois kilomètres.
– Merde,
bordel ! s’exclama Garry. Pourquoi il a fallu que tu
ouvres cette putain de porte !
Eddy
ne répondit pas. Il trembla juste un peu plus fort quand il secoua
la tête de droite à gauche. Cela devait être le langage des
junkies. Secouer la tête avec les yeux brillants et implorants qu’on
les laisse en vie devait dire « je ne sais pas, M’sieur… ».
Garry
jeta un œil circulaire à l’appartement. Il était petit, une
seule pièce.
Des
magazines de cul traînaient sur le lit défait et dont les draps
devaient bien dater d’au moins six mois. Garry n’aurait su dire
si ce jaune était d’origine ou pas. En tout cas, il était
naturel, quoi qu’il en soit.
Sur
une table basse, il vit des joints et un peu de poudre blanche. Trois
lignes. C’était parfait. Des canettes de bière grand format
jonchaient le sol devant un petit téléviseur dont l’image devait
sacrément être ternie par la poussière qui recouvrait l’écran.
Et
on ne parlerait même pas de l’état de la moquette ! Tâchée
par endroits, brûlée à d’autres, il en manquait même un morceau
dans un coin.
– Tu
t’es déjà fait gauler, je parie ! continua Garry en
regardant le junkie trembler des pieds à la tête.
Pour
toute réponse, ce dernier secoua la tête mais cette fois-ci de haut
en bas.
Traduction :
« Oui, M’sieur ! »
– Alors
tu sais… si jamais tu fais le con et que tu appelles les flics. Ils
vont débarquer et trouver tous tes bonbons, tu me comprends ?
Le
junkie secoua la tête de droite à gauche.
Traduction :
« Non, M’sieur ! »
– Comment
ça, tu ne comprends pas ce que je te dis ?
Le
junkie secoua alors la tête de haut en bas.
Traduction :
« Si, M’sieur ! »
– Bon
alors, pourquoi tu fais « non » quand je te demande
si tu as compris ?
Le
junkie tenta d’ouvrir la bouche, la referma, ferma les yeux, se
pissa dessus, rouvrit les yeux et parla distinctement, sanglotant
nerveusement.
– Je…
Je…
– Oui,
tu ? voulut savoir Garry.
– Je
n’ai pas de téléphone, dit doucement Eddy.
Garry
resta bouche bée, une nouvelle fois. Jamais autant de personnes
n’avaient pu le scotcher ainsi en si peu de temps.
– Et…
voulut continuer Eddy.
– Et ?
soupira Garry.
– Mes
voisins… les voisins ne m’aiment pas vraiment. Ils ne me laissent
pas les approcher. Aucun risque pour qu’ils acceptent que je
téléphone et ils se fichent pas mal de ce qui peut m’arriver.
Garry
ferma les yeux à son tour. Il y avait des jours comme ça, où rien
n’allait comme il fallait.
Il
abaissa son arme et se tourna.
Brusquement,
il fit volte face, pointa son revolver vers Eddy et avec un sourire
cria :
– BANG !
Eddy
sursauta en couinant comme l’aurait fait un porc.
Ce
qui se produisit n’arriva pas parce qu’il transpirait mais parce
qu’il était un parfait imbécile : il lâcha son fusil à
canon scié et le regarda tomber bien droit vers la moquette tachée
d’auréoles jaunâtres.
Une
descente qui sembla durer des semaines, des mois. Quand le fusil
toucha enfin le sol, Eddy s’était penché juste assez pour prendre
une rafale de plomb qui lui décolla la tête des épaules.
Garry
eut tout juste le temps de se protéger le visage pour éviter de se
poudrer les joues du sang du junkie.
La
déflagration était assourdissante. Et le coup de feu, en plus
d’avoir pulvérisé la tête d’Eddy – parfait imbécile de son
vivant – creva le plafond.
Garry
entendit alors un hurlement gras. Un hurlement d’homme. Un homme
qui tempêta aussitôt après Eddy qui n’avait plus d’oreilles
pour l’entendre. Il fallait excuser le pauvre : il ne savait
pas ce qui était arrivé à son voisin du dessous.
Garry
avait compris qu’Eddy était un parfait imbécile de son vivant.
Mais il comprit que même la mort, aussi brutale fut-elle, ne lui
rendrait pas grâce. Et oui… le corps d’Eddy semblait piétiner
sur place, les bras ballants, les genoux légèrement pliés. Il fit
quelques pas avant de s’écrouler enfin.
Quand
Garry sortit de l’appartement, le corps de cet imbécile
d’Eddy tressautait encore, pensant sûrement que la fête n’était
pas finie.
Appartement
04.73.02.04
George
était tranquillement assis dans son fauteuil fétiche à lire le
journal et pester contre tout ce qui n’allait pas dans le monde (il
pestait donc du matin au soir, non stop) quand le plomb traversa son
parquet et du même coup, son pied gauche.
Il
se mit aussitôt à hurler de douleur et la rage le prit tellement
fort qu’il en arracha le tissu de l’accoudoir de son fauteuil
préféré.
– Eddy !
Espèce de sale petit enculeur de mouches mortes !
s’exclama-t-il sans réfléchir à ce qu’il disait. Espèce de
petit trou du cul ! Je vais te casser la gueule en deux fois
espèce de tas de merde ambulant !
Il
se leva (tant bien que mal, il fallait l’avouer, avec son excédent
de poids dû à « un dérèglement de glandes salivaires »
comme il aimait le dire) et boita jusqu’à sa porte, l’ouvrit à
la volée et sortit dans le couloir. Mettre du sang partout, il s’en
foutait : la moquette du couloir était rouge de toute façon.
Pour lui, ça ne se verrait pas.
Sa
rage était telle qu’il ne pensait même plus à la douleur. Il
aurait pu tourner de l’œil mais ce ne fut pas le cas.
Il
se dirigeait vers l’ascenseur, bien déterminé à en découdre
avec celui qui n’avait déjà plus de tête à l’étage en
dessous. Il ne fallait pas lui en vouloir : il n’était pas
encore au courant du poids en moins qu’Eddy avait sur les épaules.
Peut-être même qu’il ne le serait jamais puisque la porte de
l’ascenseur s’ouvrit sur Garry qui se précipita dans le couloir.
Les
deux hommes se faisant alors face eurent la même réaction. Ils
s’arrêtèrent dans leur élan, étonnés, bouche ouverte, yeux
écarquillés.
La
seule différence c’était que Garry leva son automatique et Pfion
précéda bientôt George qui tomba raide mort à la renverse, un
trou au milieu du front.
Appartement
04.73.02.03
Mélodie
s’envoyait en l’air avec Greg. Mélodie, 19 ans. Greg, 29.
Le
coup de feu qui était accidentellement parti du fusil d’Eddy, lui
arrachant la tête au passage et explosant le pied de George, le
voisin de Mélodie ou de Greg – on ne savait pas encore très bien
à qui appartenait l’appartement –, avait ramolli l’instrument
de plaisir de Greg.
Quant
à Mélodie, elle s’était figée net, assise sur son partenaire,
se demandant ce qu’était tout ce raffut.
Malgré
les avertissements de l’averti Greg, Mélodie s’était levée,
laissant l’instrument de plaisir de son partenaire retomber
négligemment sur le ventre de ce dernier.
Mélodie
n’avait pas non plus jugé bon de suivre le conseil de son jaloux
de petit ami qui lui disait :
– Tu
pourrais au moins mettre quelque chose sur toi ! Tu ne vas pas
sortir à poil tout de même !
Mélodie,
qui était une vraie fille dans toute sa splendeur et qui, par
conséquent, ne prenait rien au sérieux, s’était contentée de
sourire, avec ce regard sensuel qui en avait fait fondre plus d’un
cette semaine là. Une dizaine d’après les bruits de couloir du
lycée. Cinq officiellement. Mais tout le monde était d’accord
pour dire que cette dizaine de sauvages lui était passée dessus. Et
là, que se soit en réalité cinq ou dix, personne n’avait tort.
Ce
qui n’empêcha pas Mélodie, dans sa crétinerie la plus aboutie
d’ouvrir la porte d’entrée pour tomber sur un homme en perfecto
qui levait son automatique devant lui pour faire feu.
Mélodie
se mit à hurler. Et si Garry trouvait toujours faux ces hurlements
hystériques que l’on entend dans les films d’horreur, il dut
constater qu’ici, ils étaient bien réels. Si réels qu’il se
boucha les oreilles pour que son cerveau n’explose pas.
La
traînée faisait déjà demi-tour en courant, en hurlant, et Garry
stoppa net la torture en descendant la furie de trois balles dans le
dos.
Greg,
le petit ami ramolli, se mit lui aussi à hurler. Un cri plus mâle,
plus rauque.
Les
yeux exorbités à la vue du canon encore fumant de Garry, il courut
vers la fenêtre et se jeta à travers la vitre, se tailladant un peu
partout.
Garry
se précipita vers la fenêtre pour achever le fougueux étalon si
celui-ci était sorti indemne de sa chute. Mais il s’aperçut, avec
un certain soulagement, que Greg gisait sur le trottoir, une marre de
sang s’écoulant de son crâne fendu par une bite d’amarrage de
béton – objet iconoclaste qui n’avait pas vraiment sa place dans
une rue piétonne à plus de 400 bornes du premier océan.
Garry
espéra que tout allait enfin s’arrêter et il n’osa pas bouger.
Avec le vacarme que la chaude lapine avait fait, il ne serait pas
étonnant que quelqu’un ait appelé la police.
Il
risqua tout de même un œil dans le couloir. Il était désert. Il
patienta encore quelques secondes, regardant chaque porte de l’étage,
attendant que l’une d’elle s’ouvre ; il jetait aussi un œil à
l’ascenseur, pensant qu’un livreur de pizza, un facteur ou même
un huissier, pouvait arriver à tout moment. Après tout, au point où
on en était !
Quand
il eut le tournis à force de se tordre le cou dans tous les sens
pour voir que tout était enfin calme, il se décida à passer dans
la cage de l’escalier de secours qui était en face de lui.
Il
redescendit les trois étages, aux aguets, espérant ne croiser
personne et attendant que des cris d’horreur lui parviennent quand
on découvrirait le corps de Greg « le ramolo », la tête
dans sa bite d’amarrage.
Et
rien ne vint.
Il
se retrouva bientôt dans la rue, fit quelques pas, la tête basse,
n’osant pas se retourner pour voir l’immeuble de La
Résidence du Paradis s’éloigner peu à peu.
Il
approcha d’une cabine téléphonique, entra, mit une carte et
composa un numéro. À chaque tonalité, Garry revoyait tous ceux qui
n’auraient pas dû mourir ce jour-là. La vieille, le junkie,
l’estropié, la Lolita, le ramolli… le hamster.
– Allo ?
demanda-t-on à l’autre bout du fil.
– C’est
fait ! répondit Garry espérant qu’on ne lui fasse aucune
réflexion de quelle que sorte que se soit.
– Tu
en as mis du temps !
Et
voilà ! Comme quoi, dans la vie, on ne pouvait pas tout avoir.
– Il
y a eu des complications, dit simplement Garry.
– Quel
genre ?
– Genre
compliqué.
Et
les sirènes d’ambulances, de pompiers et de flics commencèrent à
faire leur cirque autour de Garry qui se cachait autant qu’il
pouvait dans son petit mètre carré vitré où le soleil tapait.
– J’entends,
dit la voix bourrue à l’autre bout du fil. Je ne paie que pour un.
Ben
tiens ! Bien entendu. Le reste serait de la poche de Garry. Il
n’était pas obligé d’exploser le hamster qui l’a amené à
descendre la vieille pour ensuite en finir avec le reste des
occupants de l’immeuble.
Pas
tous les occupants ! dit la petite voix de la raison.
Et
comme si Garry n’avait pas compris, elle continua :
Comment
les flics ont-ils été au courant ? Il n’y avait personne
dans la rue pour trouver « La Queue Flasque » dans sa
bite d’amarrage ! Forcément que quelqu’un était encore là
et a appelé les flics.
Garry
soupira en raccrochant. Cela faisait déjà quelques secondes que la
tonalité « occupé » tintait à son oreille.
Ne
t’en fais pas ! Ils ne sauront pas, le rassura La Raison.
On leur racontera juste qu’on a entendu du bruit, peut-être un
coup de feu du junkie qui avait fini par péter les plombs. Il faut
bien quelqu’un pour raconter la légende, sinon, il n’y aurait
pas de légende.
Mais
La Raison savait à quoi pensait Garry.
Ton
arme n’est pas enregistrée, tu vas t’en débarrasser, comme
d’habitude et tu passeras à autre chose pendant que les flics
classeront le carnage inopiné dans un dossier non classé.
Garry
était soulagé d’entendre cela. Il sortit de la cabine, se demanda
jusqu’à quel point La Raison connaissait la vérité et risqua un
œil en direction de La Résidence du Paradis.
Il
jugea qu’elle n’avait de paradisiaque que le nom.
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